Lettres & Langues et Cultures de l’Antiquité
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Site Lettres et Langues anciennes de l’académie de Lyon.

N. Bouvier, L’Usage du Monde
Ecrire des carnets de voyage numériques et fictifs
Initiation à un usage collaboratif de la lecture, de l’écriture et du voyage.

Le projet consiste à écrire des carnets de voyage en groupe à la manière de N. Bouvier et Th. Vernet. Il s’agit de permettre aux élèves de s’approprier par l’expérimentation ce genre hybride, de travailler le sujet d’invention différemment et de nourrir les échanges entre sciences humaines et littérature dans l’optique de la formation du citoyen.

Article mis en ligne le 29 juin 2018

par Caroline Allingri

 Objectifs pédagogiques et compétences visées

Les programmes de lycée général et technologique invitent à l’acquisition d’une « culture littéraire ouverte sur d’autres champs du savoir » afin de créer un continuum entre formation de l’élève-lecteur et formation de l’élève-citoyen. Les récits de voyage, genre hybride, réunissent clairement plusieurs pôles de la littérature, esthétique, socio-culturel et éthique : ils recèlent à la fois des récits d’aventures, des portraits, des descriptions poétiques ou des dialogues mais aussi des savoirs, des réflexions personnelles et l’expression de ressentis face à l’Autre.
L’objectif didactique était d’expérimenter le genre protéiforme du récit de voyage afin que les élèves s’approprient ses enjeux, s’enrichissent par l’ouverture sur d’autres horizons et cultures et trouvent du sens à la lecture des œuvres patrimoniales.
Dans la perspective de la préparation des épreuves anticipées de français, ce travail a été l’occasion d’un apprentissage de nombreuses formes de sujets d’invention.

 Stratégies pédagogiques mises en œuvre

- Faire travailler les élèves en collaboration pour créer de l’émulation
- créer un objet pour rendre l’exercice type bac moins rébarbatif, tout en travaillant les compétences de la lecture experte et de l’écrivant maniant différentes postures.
- créer du lien entre les différentes matières, nourrir les échanges entre sciences humaines et littérature en créant des textes porteurs de savoirs et mâtinés d’une dimension affective.
- les faire réinvestir leurs recherches pour se les approprier et susciter de la curiosité et/ou donner envie de voyager, ce qui nous semble particulièrement pertinent en filière ES.
- utiliser le numérique pour valoriser le travail.

 Descriptif sommaire

Le projet a été fait avec une classe de première, en complément de l’étude de l’œuvre intégrale Terre des Hommes de St Exupéry, inscrite dans l’objet d’étude « Le personnage de roman du XVIIe siècle à nos jours » et dans « La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation du XVIe siècle à nos jours ».
Durée : 10 heures (dont 8h en salle informatique, et certaines avec la documentaliste)
Ce projet, conduit entièrement par groupes de 4 à 6 élèves comprenait cinq étapes :
1/ Lecture collaborative d’une œuvre en tant que « sujet-lecteur » : contrôle de lecture par groupe pour mieux comprendre les enjeux de l’œuvre. (ECRIRE en GROUPE : 2 heures)
2/ Réflexion sur le genre et le style de l’œuvre : correction du contrôle en classe sous forme de débat, élaboration d’un document de travail pour « écrire à la manière de » (ORAL : 1 heure)
3/ Construction d’un voyage mental : recherches sur le pays choisi pour élargir sa culture générale. (RECHERCHES : 2 heures en classe + heures sur le temps personnel)
4/ Transfert des compétences de la « lecture experte » à des compétences d’écriture : l’écriture d’un carnet de voyage à partir de 6 sujets d’invention (un élève par sujet puis relecture des autres OU deux élèves pour deux sujets et relecture collective) (ECRIRE : 3 heures en classe + heures sur le temps personnel)
5/ Mise en page et en valeur de leur carnet par le numérique grâce au logiciel Madmagz. (MISE EN FORME et en IMAGES : 2 heures en classe + heures sur le temps personnel)

 Descriptif détaillé

Dans le cadre de l’étude de l’œuvre intégrale Terre des Hommes de Saint-Exupéry en classe de première ES, on peut proposer, comme lecture cursive, le chapitre « Sur la route d’Anatolie » de L’Usage du monde de N. Bouvier et Th. Vernet afin que les élèves lisent un autre type de récit de voyage, « moins philosophique » selon les élèves, plus accessible et sensible.
Si la lecture de ce chapitre s’est faite en solitaire, dès le contrôle de lecture, ils se sont mis en groupes de travail en fonction du pays qu’ils avaient choisi ensemble. Cette évaluation s’est voulue une suite de questions thématiques à double détente : toujours une partie qui interroge les impressions de lecture, le « sujet-lecteur », et une autre partie qui vise la posture de « lecteur-expert », celui qui est capable d’analyser les moyens mis en œuvre par l’auteur pour créer ces ressentis.

contrôle collaboratif de lecture

Le « corrigé » de ce contrôle de lecture s’est fait en classe entière, en une heure. Il a été l’occasion d’élaborer une « boîte à outils » à travers un débat formateur où la posture de lecteur-expert dominait. Chacun a apporté sa pierre pour créer un document de travail sur lequel s’appuyer lors de l’écriture des différents sujets d’invention. Les élèves avaient ainsi à disposition une définition du récit d’aventures et du récit de voyage, mais aussi des thèmes pour les récits, les descriptions et les réflexions, ou encore les différents procédés mis en œuvre par N. Bouvier pour soit décrire précisément, soit nous émerveiller devant un paysage sublime, soit nous faire entrer dans ses aventures et ses craintes.
Après avoir visité l’Anatolie grâce à N. Bouvier et Th. Vernet ou les Andes à travers les récits de Saint Exupéry, le but du projet est de faire une place à la curiosité des élèves en les laissant aller vers un pays qu’ils ne connaissent pas mais qui les attire, de manière à développer leur ouverture sur le monde, à élargir leur culture générale et à actualiser le texte de N. Bouvier dans une géographie différente et du XXIe siècle ; il s’agit en somme de passer d’un voyage à l’autre. Ainsi, l’étape suivante a été de choisir un pays ou une région et de faire des recherches pour avoir l’impression de l’avoir visité. Cependant, c’est une étape qu’il faudra davantage guider, car les élèves étaient perdus sur Internet, ne sachant sur quels sites aller pour trouver un trajet de voyage par exemple.
Les recherches faites, la tâche finale pouvait commencer : écrire le carnet de voyage fictif et collaboratif. En effet, après avoir perçu la richesse du texte-source et avoir mis en œuvre des compétences de « lecture experte », le but du projet est de les transférer dans l’écriture. Cette phase s’est déroulée en 4 heures en classe entière, soit deux heures de rédaction pour le premier jet à finir à la maison, une heure de relecture du premier jet entre élèves du groupe et une heure en classe pour le 2e et dernier jet à finir à la maison. Les élèves se sont répartis les six sujets d’invention à l’intérieur de leur groupe, selon les envies de chacun, et ont écrit le plus souvent à quatre mains.

sujets d’invention

On a choisi de ne mettre qu’une note par groupe afin de les encourager à se relire entre pairs pour éliminer le plus d’erreurs possible de cohérence, de consignes ou de langue avant la lecture du professeur. Ce temps les a obligés à voyager, même fictivement, dans un pays qui leur était inconnu, à s’imaginer voyageurs et à s’immerger dans d’autres vies, d’autres sensations et d’autres cultures.
Enfin, les élèves ont pu valoriser leur carnet de voyage à travers l’outil numérique. Comme Th. Vernet, les élèves devaient intégrer des documents iconographiques à leur création, des photographies trouvées sur internet mais aussi un dessin ou collage fait par eux-mêmes et une carte retraçant le trajet emprunté par les voyageurs. Sur le logiciel Madmagz, ils ont ainsi inséré photos, dessins, cartes et textes à la manière de voyageurs du XXIe siècle, partis avec tablette et appareil photo numérique.

exemple de carnet de voyage sur le Ladakh

autre exemple de carnet de voyage sur le Rajasthan

 Limites et perspectives

Indicateurs
- L’investissement de la plupart des élèves, qui a été croissant au fil des heures car ils se sont pris au jeu de la tâche finale : seul un groupe sur sept (celui des élèves qui ont décroché dans la plupart des matières) n’a produit que 3 sujets sur 6 et n’a pas fait la présentation sur Madmagz. Pour les élèves les plus scolaires, il a fallu justifier le projet en montrant qu’il est formateur et s’inscrit dans le programme ; à partir de ce moment, ils se sont pleinement investis et ont produit des textes précis, informés et sensibles (cf. groupe du Ladakh). Les élèves qui ont peiné à se mettre au travail pendant l’année – soit, dans cette classe, plus des 2/3 – se sont vraiment impliqués notamment en se créant des groupes de discussion sur Instagram, même si les deux ou trois premières heures ont été brouillonnes. Lors de l’oral blanc de français, ils ont dit à plusieurs collègues que c’était ce qu’ils avaient préféré dans l’année.
- Entre le premier et le second jet, les trois quarts des groupes ont fortement progressé car ils ont mieux compris les attentes du sujet d’invention : les histoires étaient plus cohérentes et mieux organisées, les descriptions plus détaillées et imagées, la correction de la langue mieux prise en compte. Au terme de l’année, les élèves m’ont affirmé avoir pris conscience qu’ils pouvaient mieux faire grâce à ce travail de création, plus libre.
- Enfin, si l’on prend le projet sous l’angle de l’élève-citoyen, nombreux sont les élèves qui ont trouvé de l’intérêt à voyager alors que, pour la plupart, ils ne comprenaient pas que l’on dépense tant d’argent pour aller à l’autre bout du monde, rencontrer parfois des cultures plus « archaïques » que les nôtres ou des « paysages où il n’y a rien ». Les régions plébiscitées sont cette année Madagascar, le Rajasthan et la Mongolie.

Pistes d’amélioration
- créer une fiche méthode pour les recherches au CDI afin d’aider les élèves à faire des recherches ciblées : quels types d’informations trouver pour tel sujet d’invention ? Sur quels types de sites ? On pourrait par exemple engager les élèves à chercher des documents sonores (musiques du pays, instruments locaux …) et visuels (vidéos de visite d’un site, de danses traditionnelles, d’un paysage …). En effet, l’écrivain-voyageur est un « enregistreur » et une « caméra ». On les orienterait ainsi davantage vers la dimension affective et sensorielle du voyage, difficile à percevoir lors d’un périple « fictif ». A travailler avec un professeur-documentaliste.
- ajouter/remplacer des consignes pour enrichir leur carnet de voyage : 1/ un poème en vers à la manière de « Novembre » (p. 133) et « Tabriz » (p. 205) dans L’Usage du Monde. 2/ un petit texte qui raconterait un moment où les voyageurs ont découvert la musique du pays. Ils pourraient, comme N. Bouvier, utiliser la métaphore filée de la musique.
- On pourrait aussi imaginer une présentation orale du carnet de voyage avec une bande-son pour faire entendre le voyage, la musique étant très présente dans l’œuvre de Bouvier.