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Michel Butor, une rencontre - Séquence 2

Séquence pour les Première : « Le roman et ses personnages : visions de l’homme et du monde » Durée 6 heures.

Article mis en ligne le 17 juin 2008

par Marie Haeffeli

Ladite séquence permettra de répondre aux “questions que soulève l’étude des personnages” et “d’aborder le roman comme une forme littéraire privilégiée de représentation de l’homme et du monde”. Pour cela, on choisit, arbitrairement l’année 1957, comme date de naissance officielle et plurielle du Nouveau Roman, chez un même éditeur français, les Éditions de Minuit .

Dans le DVD, on visionnera le chapitre 5 "Anticipation. Le Nouveau Roman", avec un intérêt particulier pour la partie intitulée "Un roman dans le monde des réalités". En complément, on lira le "manifeste" de Alain Robbe-Grillet “Pour un nouveau roman”, datant aussi de 1957 et dont on trouvera le texte sur le site de l’Université de Toulouse Le Mirail : on insistera sur la crise du héros/personnage de fiction.

Les quatre romans 1957, des Éditions de Minuit, "romansfondateurs du Nouveau Roman" sont donc les suivants – et on ne s’attachera qu’à leur incipit respectif :

  • Tropismes de Nathalie Sarraute ;
  • La Modification de Michel Butor ;
  • La Jalousie de Alain Robbe-Grillet ;
  • Le Vent de Claude Simon.

 TROPISMES

de Nathalie Sarraute - Pp. 10-11.

L’étude portera sur le premier chapitre (court) — vingt-quatre au total pour le roman entier —, pages 10 et 11. On précise que l’œuvre a été écrite en 1939 et publiée originellement chez Denoël la même année. La publication aux Éditions de Minuit en 1957 inscrit donc l’auteur comme l’un des quatre pères/mère fondateurs du Nouveau Roman.

D’abord l’étude du titre Tropismes amènera les élèves à définir les termes de tropes et tropiques (pour quel exotisme ?). La lecture de l’extrait mettra en évidence les marques traditionnelles d’une écriture romanesque s’inscrivant dans la tradition avec les connecteurs spatio-temporels précis, qui n’indiquent en rien les marques d’une écriture "moderne", car ce début se donne vraiment comme un [néo]Naturalisme ... On cherchera donc ailleurs : et ce sera le pronom "ils" qui attire notre attention, "eux" ailleurs. On note la confusion entre l’humain, le végétal, l’animal. Le caractère humain n’apparaît qu’aux troisième et quatrième paragraphes ; mais au cinquième il va définir les enfants ; et puis il désignera de manière forte et évidente "les vieux, les grands-parents".

Ainsi on aura montré comment les personnages, d’abord indéfinis, naissent des lieux même qu’ils traversent (on note la présence de figures de style, les tropes, qui permettent cette fusion/confusion), dans une déambulation ici répétitive (pas si différente d’autres marches de héros naturalistes dans les décors réels, comme chez Maupassant par exemple) : l’imparfait de pure répétition décrira aussi un destin de personnages...

C’est ainsi que naît un personnage indéfini, collectif — et non plus individuel et identifié —, que domine un narrateur objectif et extérieur, qui se fixe comme étude le monde comme objet d’observation et de création.

 LA MODIFICATION

de Michel Butor - Pp. 7-8.

Dans le chapitre 8 du DVD, "La Modification", on trouve une analyse courte de l’œuvre par l’auteur lui-même ainsi qu’une brève lecture d’un extrait.

L’œuvre est écrite par un écrivain de quarante-cinq ans : œuvre de la maturité ? C’est évidemment le premier mot du texte, le "vous", page 7, qui interroge le lecteur, ainsi que le présent de narration qui traverse le texte. Se pose alors ici le statut du narrateur : externe, il établit un semblant de dialogue avec le personnage, devenu objet de l’écriture. Quel rapport entretient donc le narrateur avec le lecteur, avec son personnage, le personnage avec sa conscience, son devenir ?

On constate, dès le départ, une résistance du décor à l’entrée du personnage dans l’espace clos du compartiment, car le réel accroche, tout comme une force est demandée au lecteur pour entrer dans le roman, au personnage pour entrer dans une "nouvelle vie", durant ce voyage Paris/Rome (roman en train...).

La description traditionnelle du personnage, page 7, mettra en évidence les indices de l’anti-héros, personnage du commun, monsieur "tout-le-monde"...

 LA JALOUSIE

de Alain Robbe-Grillet - Pp. 9-10.

On fait remarquer, ou on précise aux élèves, les blocs de texte, les blancs, comme autant de décrochements, d’espaces vides d’interprétation. On s’intéresse à la description de la terrasse, au deuxième paragraphe, avec son excès d’objectivité mathématique, géométrique. Il s’agit là du cadre romanesque récurrent dans lequel se dérouleront les rencontres des protagonistes, et qui donneront les multiples interprétations du narrateur.

  • Pourquoi toutes ces précisions ? cette description "maladive" ?
  • Pourquoi le titre ?

Le narrateur est dans l’histoire, il est un des personnages... Entre objectif et subjectif, il décrit le processus d’un malaise, une maladie qui se dessine derrière les précisions obsessionnelles.

Avec « Maintenant A. est entrée [...] » on entre dans l’action et le labyrinthe psychologique.

 LE VENT

Tentative de restitution d’un retable baroque de Claude Simon - Pp. 9-10.

On donne aux élèves la citation mise en exergue du roman : «  Deux dangers ne cessent de menacer le monde : l’ordre et le désordre. » Paul Valéry. On précise que l’œuvre se compose de dix-sept chapitres "serrés" et qu’elle commence par des guillemets : « Un idiot. Voilà tout. Et rien d’autre .[...] ».

Qui parle ?

Apparaissent dans cet incipit les modes traditionnels d’une écriture romanesque admise : le discours et le récit ; mais ici le discours précède le récit... Ce dernier va dessiner un cadre réaliste à ce début, l’étude de notaire.

Quel est l’objet de ce discours premier ? pourquoi cette colère initiale pour l’absent, "l’idiot" ?

À qui s’adresse ce discours : à un interlocuteur ? au narrateur, lecteur ? On observe le statut bien fluctuant de ceux-là : le narrateur est interne et partie prenante dans le roman.

Quel rapport entretient le roman avec la réalité ?

Le personnage, "l’idiot", échappe au notaire, au narrateur, comme au lecteur, tout comme encore il échappera aux conventions de la réalité et du roman : c’est ce qui explique la présence de cette écriture hypothétique, de ces reprises, corrections, ajouts d’informations et d’interrogations.

On a ici un rapport autre à l’écriture romanesque qui cherche à épuiser les possibilités d’interprétation, comme une course-poursuite derrière un personnage qui échappe.

En fin de séquence, on mettra l’accent sur l’absence ou la présence de l’article défini dans les titres des œuvres étudiées : Tropismes, La Modification, La Jalousie, Le Vent. Pourquoi ces génériques ? ces envies chez les auteurs de généraliser, d’épuiser les concepts ?

Nous proposerons ici deux questions pouvant préparer à la dissertation :

Ces textes, tous datant de l’année 1957, sont regroupés sous l’appellation “Nouveau Roman”. On parle aussi “d’école du regard”. Justifiez en un texte argumenté d’une page ce nouvel intitulé, en vous servant des quatre textes étudiés.

Le Nouveau Roman a établi un rapport original entre le narrateur et ses personnages. Les quatre textes étudiés nous font entrer dans l’histoire à travers quatre regards différents. À partir des films que vous avez pu voir récemment, vous montrerez que le cinéma permet aussi une diversité des regards et des points de vue. Vous rédigerez une page construite, avec des exemples précis et des références aux auteurs étudiés en classe.

Arnaud Beaujeu & Miguel Gonzalez,
professeurs de Lettres Modernes.