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Des Orientales aux Occidentales
Réécriture contemporaine d’un recueil poétique du XIXe siècle et édition
Article mis en ligne le 13 juillet 2017
dernière modification le 17 juillet 2017

par Caroline Allingri

Ce projet a été mené avec trois classes de troisième du collège Lamartine à Villeurbanne (Madame Zoé Pariselle) et deux classes de seconde du lycée Charlie Chaplin à Décines (Madame Caroline Allingri).

 Contexte pédagogique

Classes de troisième/seconde (3 classes de 3e et 2 classes de seconde)

Durée : 10 heures d’AP (dont 2h de rencontre interclasses).
Projet en parallèle de l’étude de l’œuvre intégrale pour les élèves de seconde,
de quelques poèmes pour les élèves de collège.

Problème posé : Pour les élèves, la littérature est souvent une perte de temps ou une obligation scolaire car ils ont l’impression qu’elle n’explique pas leur monde, qu’elle ne raconte que des faits imaginaires ou déconnectés de leurs réalités. Il nous a donc semblé essentiel de leur montrer que, bien au contraire, les livres sont un pont entre le passé et le présent, entre des êtres fictifs et les lecteurs, entre des lieux lointains et le monde dans lequel ils vivent.

Travail disciplinaire autour des Orientales de V. Hugo.

Pourquoi le choix de ce texte ? Les Orientales, recueil daté de 1829, s’inscrit dans le contexte bien particulier de la guerre entre la Grèce et l’Empire Ottoman et a été écrit à un moment où l’Orient était l’objet de tous les fantasmes. Cependant ces poèmes contiennent non seulement des thèmes très actuels comme la guerre, la souffrance des populations ou la place de la femme dans la société mais encore ont une force d’évocation à même de toucher nos élèves les plus réfractaires à la poésie. Par leur forme narrative voire théâtrale, ils suscitent des images facilement transposables dans un monde actuel miné par la pauvreté, l’immigration, les conditions de travail, le terrorisme ou dans un Occident qui est aussi capable de les faire rêver au travers notamment des stars ou des festivités populaires ; autant de sujets qui traversent le quotidien des jeunes que nous avons dans les classes.

Objectifs principaux :
-  s’approprier un texte littéraire
-  réinvestir des notions techniques ou littéraires afin de leur donner du sens via la création de poèmes et d’une édition
-  collaborer lors d’un projet inter-établissement afin de créer de la motivation supplémentaire
-  utiliser les ressources numériques afin de s’informer (définition de l’Orient/Occident, l’actualité de l’Orient, le travail d’édition …), avoir confiance en soi (Jokabox pour vérifier la justesse du mètre, enrichissement du vocabulaire via des sites sur les rimes …) et rendre esthétique (travail d’édition) pour valoriser le travail fait et se valoriser.

Stratégies pédagogiques :
-  rendre actif l’élève : créer un poème, devenir éditeur.
-  faire des liens entre le passé et le présent, entre un auteur classique et les élèves-auteurs, entre l’Orient et l’Occident afin de donner du sens au « cours de français » et à la « lecture d’un classique ».
-  proposer une critique personnelle, faire des choix personnels : chaque élève propose une critique que l’on peut formuler sur l’Orient et sur l’Occident, chaque groupe choisit le poème qu’il veut transposer, chaque groupe choisit l’actualité qu’il veut traiter car elle le touche plus particulièrement, chaque groupe choisit l’orientation critique/la tonalité qu’il veut donner à son poème.

Principaux outils numériques :
-  logiciel de traitement de texte et de mise en page pour le travail d’édition
-  recherches documentaires sur internet (usage raisonné d’internet)
-  site Jokabox ou dictionnaire des rimes

 Mise en œuvre

Si V. Hugo assure dans Les Contemplations que « nous ne voyons jamais qu’un seul côté des choses », nous avons commencé notre projet en les interrogeant sur ce que pourrait penser un oriental de l’Occident d’aujourd’hui afin, grâce au décentrement, de les amener à envisager les aspects enviables mais aussi critiquables du monde dans lequel ils vivent. Les réponses ont été spontanées, parfois drôles et souvent émouvantes.
Une fois le thème du projet posé, les troisièmes se sont mis à lire quelques poèmes des Orientales tandis que les secondes ont étudié tout le recueil.
Ensuite, à partir de « Clair de lune », nous avons défini ce qui fait la poéticité d’un texte : créer une émotion à travers une écriture sonore, imagée et rythmée.
Dès lors, il ne nous restait plus qu’à donner du sens à la leçon faite si souvent en collège comme en lycée, à savoir la versification, un aspect très technique mais souvent rébarbatif et peu utile selon les élèves. Une fois le décompte des syllabes maîtrisé, chaque groupe a choisi un poème des Orientales à étudier puis à transposer dans l’Occident contemporain à partir d’une liste proposée par les professeurs. Nous avons privilégié des textes dont le sens était suffisamment clair et pour lesquels nous venaient des idées d’adaptation. Nous avons guidé leur lecture du texte-source par une question générale sur le sens ainsi que sur la forme qu’ils allaient devoir respecter.
Une fois l’analyse du texte de V. Hugo faite, pour les aider à trouver des idées, nous avons pu proposer des contraintes pour certains groupes : un titre et un nombre de strophes à respecter ainsi que les types de vers employés par V. Hugo. Ils se sont rapidement pris au jeu et même s’il a parfois fallu les aiguiller, ils ont écrit avec succès.
Dans la perspective d’une édition, nous leur avons proposé de travailler sur les différentes parties d’un livre. Chacun a choisi selon ses goûts entre la première ou la quatrième de couverture - lieux plus artistiques -, les annexes, la préface et la biographie d’un auteur fictif rassemblant les caractéristiques des élèves du projet.
Enfin, les poèmes rédigés et les travaux d’édition achevés, nous avons souhaité que les élèves se rencontrent enfin autour d’une écriture collaborative amusante : « Les Djinns » ou le passage terrifiant d’une horde de démons devenant « Les Djeuns » ou l’arrivée et le départ d’un groupe d’élèves bruyants. La mémoire proche leur a suffi comme source d’inspiration !

 Limites et ajustements

L’année prochaine, nous passons de 2 à 3 établissements engagés dans le projet ; nous aimerions donc utiliser le numérique comme un lieu de collaboration afin que les élèves puissent échanger tout au long du projet et non pas seulement lors de la rencontre finale.

Les élèves étaient contents et, pour la joie des enseignants, ont parlé des Orientales chez eux..
Un petit bilan avec les secondes ayant participé au projet sur le site du lycée Charlie Chaplin

 Annexes (exemples de réécriture en regard des textes de V. Hugo)

« Palmyre en colère » par Emilia, Chérine et Hugo

Daesh, le Monde sont en guerre.
Palmyre, longtemps centenaire,
Se réveille au bruit des éclairs,
Seul au milieu des décombres.
Mais il ne se reconnaît plus
Rêve ou réalité, perdu.
En quelques secondes, battu,
Autour il fait désormais sombre.

« Vos bombes remplies de fumée
Contre moi seul et apeuré !
Vous vous êtes tous acharnés !
Ce jour, j’ai perdu mon visage,
Pourquoi moi ? Pourquoi si violent ?
Est-ce ainsi qu’on fait maintenant ?
Le Monde combat ces méchants !
Tous ensemble ayons le courage !

Frères, qu’espérez-vous des blessures ?
Dominer le monde ? à quoi bon ?
Faire régner peur et torture ?
Ah ! Mais vous rêvez, j’en suis sûr !
La guerre, stoppez, ou sinon
Je détruirai, moi, vos canons. »

LE DANUBE EN COLERE

Admonet, et magna testatur voce per umbras.
VIRGILE
.
Belgrade et Semlin sont en guerre.
Dans son lit, paisible naguère,
Le vieillard Danube leur père
S’éveille au bruit de leur canon.
Il doute s’il rêve, il trésaille,
Puis entend gronder la bataille,
Et frappe dans ses mains d’écaille,
Et les appelle par leur nom.

« Allons ! la turque et la chrétienne !
Semlin ! Belgrade ! qu’avez-vous ?
On ne peut, le ciel me soutienne !
Dormir un siècle, sans que vienne
Vous éveiller d’un bruit jaloux
Belgrade ou Semlin en courroux !

« Hiver, été, printemps, automne,
Toujours votre canon qui tonne !
Bercé du courant monotone,
Je sommeillais dans mes roseaux ;
Et, comme des louves marines
Jettent l’onde de leurs narines,
Voilà vos longues couleuvrines
Qui soufflent du feu sur mes eaux !

« Ce sont des sorcières oisives
Qui vous mirent, pour rire un jour,
Face à face sur mes deux rives,
Comme au même plat deux convives,
Comme au front de la même tour
Une aire d’aigle, un nid d’autour.

« Quoi ! ne pouvez vous vivre ensemble,
Mes filles ? Faut-il que je tremble
Du destin qui ne vous rassemble
Que pour vous haïr de plus près,
Quand vous pourriez, sœurs pacifiques,
Mirer dans mes eaux magnifiques,
Semlin, tes noirs clochers gothiques,
Belgrade, tes blancs minarets ? […]

« Chanson de serveurs »

par Meziane, Omar, Ali, Ayoub

Nous emmenions en esclavage
Cent travailleurs très motivés.
Nous recrutions des peu aisés,
De toute cité, de tout âge.
Au boulot ! jeunes travailleurs !
Ne dormez pas sur vos lauriers !
Dans la galère des CDD
Vous étiez quatre-vingts serveurs.

On signale un nouveau meeting,
A vos poêles, à vos fourneaux,
Pour préparer un bon gâteau.
La politique est un vrai ring.
Le grand patron n’a pas de cœur
Il saura vous laisser tomber.
Dans la galère des CDD
Vous étiez quatre-vingts serveurs.

Remettez-vous donc au travail !
Il faut laver, il faut ranger
C’est le moment de turbiner.
Et qu’on n’en voie pas un qui baille !
Le patron n’est pas trop d’humeur.
Tous en cœur, vous irez voguer.
Dans la galère des CDD
Vous étiez quatre-vingts serveurs.

CHANSON DE PIRATES.

Alerte ! alerte ! voici les pirates d’Ochab qui traversent le détroit. Le Captif d’Ochab.
Nous emmenions en esclavage
Cent chrétiens, pêcheurs de corail ;
Nous recrutions pour le sérail
Dans tous les moûtiers du rivage.
En mer, les hardis écumeurs !
Nous allions de Fez à Catane…
Dans la galère capitane
Nous étions quatre-vingts rameurs.

On signale un couvent à terre.
Nous jetons l’ancre près du bord.
À nos yeux s’offre tout d’abord
Une fille du monastère.
Près des flots, sourde à leurs rumeurs,
Elle dormait sous un platane…
Dans la galère capitane
Nous étions quatre-vingts rameurs.

— La belle fille, il faut vous taire,
Il faut nous suivre. Il fait bon vent.
Ce n’est que changer de couvent,
Le harem vaut le monastère.
Sa hautesse aime les primeurs,
Nous vous ferons mahométane…
Dans la galère capitane
Nous étions quatre-vingts rameurs.

Elle veut fuir vers sa chapelle.
— Osez-vous bien, fils de Satan ?
— Nous osons, dit le capitan.
Elle pleure, supplie, appelle.
Malgré sa plainte et ses clameurs,
On l’emporta dans la tartane…
Dans la galère capitane
Nous étions quatre-vingts rameurs. […]

« L’enfant syrien »

Par Kaina et Louisa

Les djihadistes ont passé là, toute la Syrie est en deuil.
Damas la capitale est une sombre tombe
Les parents sont morts sous les bombes
Et les bébés n’ont personne qui les recueille.
Les bombardements explosent les bâtiments
Et blessent les petits enfants.

C’est un enfant dont on a détruit la maison.
Il est assis par terre, un tout petit garçon.
On lui propose de l’aider
Mais il refuse toujours, la tête baissée.
« Que veux-tu mon enfant ? Est-ce que tu veux un chat ?
- Ça me les ramènera ? »

On lui donne toujours à boire et à manger.
« Veux-tu un vélo ? Une voiture téléguidée ?
Comment t’aider ?
Veux-tu un jouet en forme de pistolet ? »
Mais son sourire ne réapparaît jamais.
« Ce que je veux ? Ma liberté ! »

L’ENFANT.

O horror ! horror ! horror !
SHAKESPEARE. Macbeth
.

Les turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil.
Chio, l’île des vins, n’est plus qu’un sombre écueil,
Chio, qu’ombrageaient les charmilles,
Chio, qui dans les flots reflétait ses grands bois,
Ses coteaux, ses palais, et le soir quelquefois
Un chœur dansant de jeunes filles.

Tout est désert. Mais non ; seul près des murs noircis,
Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis,
Courbait sa tête humiliée ;
Il avait pour asile, il avait pour appui
Une blanche aubépine, une fleur, comme lui
Dans le grand ravage oubliée.

Ah ! pauvre enfant, pieds nus sur les rocs anguleux !
Hélas ! pour essuyer les pleurs de tes yeux bleus
Comme le ciel et comme l’onde,
Pour que dans leur azur, de larmes orageux,
Passe le vif éclair de la joie et des jeux,
Pour relever ta tête blonde,

Que veux-tu ? Bel enfant, que te faut-il donner
Pour rattacher gaîment et gaîment ramener
En boucles sur ta blanche épaule
Ces cheveux, qui du fer n’ont pas subi l’affront,
Et qui pleurent épars autour de ton beau front,
Comme les feuilles sur le saule ?


« La jupe »

par Elena, Sarah, Marine

LA SŒUR
Mon cher frère as-tu vu ma jupe ce matin ?
Je me suis fait siffler dans le petit jardin
Puis insulter par plusieurs garçons plus âgés.
Apeurée, j’ai vite couru vers mon ainé.
Pourquoi tant de rancœur envers les jeunes femmes,
A cause de la liberté qu’elles réclament ?
Elles se sentent blessées suite à ces mots durs
Prononcés lâchement par des esprits impurs.

LE FRERE AINE
Tu savais les répercussions de cette action !

LA SŒUR
Mais que dis-tu mon frère, mon frère mais que dis-tu ?
A cause de toi je me sens vraiment perdue.
Mais fais-tu donc partie de ces hommes sexistes
Pensant que nous sommes des êtres inférieurs ?
En jupe ne veut pas dire être sans pudeur.
Quelle est cette attitude abjecte qui m’attriste ?
Ah ! Quel frère infâme ! Mais comment oses-tu ?
Quelle vilénie, de me dévêtir dans la rue !

LE FRERE AINE
Qui cherche, trouve ! Evite de provoquer !

LE VOILE

La soeur
Qu’avez-vous, qu’avez-vous, mes frères ?
Vous baissez des fronts soucieux.
Comme des lampes funéraires,
Vos regards brillent dans vos yeux.
Vos ceintures sont déchirées.
Déjà trois fois, hors de l’étui,
Sous vos doigts, à demi tirées,
Les lames des poignards ont lui.

Le frère ainé
N’avez vous pas levé votre voile aujourd’hui ?

La soeur
Je revenais du bain, mes frères,
Seigneurs, du bain je revenais,
Cachée aux regards téméraires
Des giaours et des albanais.
En passant près de la mosquée
Dans mon palanquin recouvert,
L’air de midi m’a suffoquée :
Mon voile un instant s’est ouvert

Le second frère
Un homme alors passait ? Un homme en caftan vert ?

La soeur :
Oui… peut-être… mais son audace
N’a point vu mes traits dévoilés…
Mais vous vous parlez à voix basse,
A voix basse vous vous parlez.
Vous faut-il du sang ? Sur votre âme,
Mes frères, il n’a pu me voir.
Grâce ! tuerez-vous une femme,
Faible et nue en votre pouvoir ?

Le troisième frère
Le soleil était rouge à son coucher ce soir.

La soeur
Grâce ! qu’ai-je fait ? Grâce ! grâce !
Dieu ! quatre poignards dans mon flanc !
Ah ! par vos genoux que j’embrasse…
O mon voile ! ô mon voile blanc !
Ne fuyez pas mes mains qui saignent,
Mes frères, soutenez mes pas !
Car sur mes regards qui s’éteignent
S’étend un voile de trépas.

Le quatrième frère

C’en est un que du moins tu ne lèveras pas !


« Niaizzara »

Par Nasim, Zakary, Ryan

La jeune fille était d’une beauté fatale.
En croisant son regard, les hommes tombaient pâles.
Son beau corps attirait, tout le monde l’enviait :
Ses traits, ses formes. L’intelligence débordait.
Si belle et assez convoitée,
Sa main était très demandée.

Tant de bons partis, mais un seul dans ses pensées.
Animé par le risque, il aimait le danger.
Il lui promit le monde, la lune,
Promesse qu’il fit à chacune.
Il lui promit de combler toutes ses envies,
Il dit qu’avec lui, meilleure sera sa vie.

Bien habillé, il n’avait pas l’air d’un bandit
Son apparence ne va pas avec ce qu’il dit.
Son mauvais style l’envoûtait
Et son beau regard l’a charmée.
Elle l’aimait, et lui, en faisait ce qu’il voulait.
Enivrée de mensonges, à sa perte elle allait.

LAZZARA

Et cette femme était fort belle.
Rois, chap. XI, v. 2.

Comme elle court ! voyez ! — Par les poudreux sentiers,
Par les gazons tout pleins de touffes d’églantiers,
Par les blés où le pavot brille,
Par les chemins perdus, par les chemins frayés,
Par les monts, par les bois, par les plaines, voyez
Comme elle court, la jeune fille !

Elle est grande, elle est svelte, et quand, d’un pas joyeux,
Sa corbeille de fleurs sur la tête, à nos yeux
Elle apparaît vive et folâtre,
À voir sur son beau front s’arrondir ses bras blancs,
On croirait voir de loin, dans nos temples croulants,
Une amphore aux anses d’albâtre.

Elle est jeune et rieuse, et chante sa chanson.
Et, pieds nus, près du lac, de buisson en buisson,
Poursuit les vertes demoiselles.
Elle lève sa robe et passe les ruisseaux.
Elle va, court, s’arrête, et vole, et les oiseaux
Pour ses pieds donneraient leurs ailes.

Quand, le soir, pour la danse on va se réunir,
À l’heure où l’on entend lentement revenir
Les grelots du troupeau qui bêle,
Sans chercher quels atours à ses traits conviendront,
Elle arrive, et la fleur qu’elle attache à son front
Nous semble toujours la plus belle. […]

« Les Djeuns 137 »

Par Emre et Saïf Edinne, Bilel et Farouk, Selena et Léna, Nicolas et Kévin, Paul, Nourhane et Jessim, Laurie et Dylan, Dania et Raphaël, Alexia et Carla, Chahinèze et Shana, Maurice et Alexandre

Matin
Serein
Tout doucement
Cris, hurlements
Leur arrivée bruyante
Est aussi indécente.
Eux, les Djeuns, ils sont de retour
Pour jouer de mauvais tours.
Arrivant toujours tels des animaux
Tous les jours, ils se lâchent des gros mots.
Ils font trembler et les murs et les toits,
Ne respectent jamais aucune loi.
Le bruit qui court, qui court, sans s’arrêter vers nous
Ils se jouent de nous, pour nous mettre un joug au cou.
Le bruit qui résonne, qui assomme, qui sonne,
Se fait entendre dans les murs qui emprisonnent.
La foule bruyante s’efface
Plus un seul bruit dans cette classe.
Doucement ils s’en vont
Comme de grands garçons :
Allons, partons !
Rentrons, fuyons !
C’est bon,
Allons.

LES DJINNS

E corne i gru van cantando lor lai
Facendo in aer di se lunga riga,
Cosi vid’ io venir traendo guai
Ombre portate dalla detta briga.
DANTE.
Murs, ville,
Et port.
Asile
De mort,
Mer grise
Où brise
La brise,
Tout dort.

Dans la plaine
Naît un bruit.
C’est l’haleine
De la nuit.
Elle brame
Comme une âme
Qu’une flamme
Toujours suit !

La voix plus haute
Semble un grelot.
D’un nain qui saute
C’est le galop.
Il fuit, s’élance,
Puis en cadence
Sur un pied danse
Au bout d’un flot.

La rumeur approche.
L’écho la redit.
C’est comme la cloche
D’un couvent maudit ;
Comme un bruit de foule,
Qui tonne et qui roule,
Et tantôt s’écroule,
Et tantôt grandit.

Dieu ! la voix sépulcrale
Des Djinns !… Quel bruit ils font !
Fuyons sous la spirale
De l’escalier profond.
Déjà s’éteint ma lampe,
Et l’ombre de la rampe,
Qui le long du mur rampe,
Monte jusqu’au plafond.

C’est l’essaim des Djinns qui passe.
Et tourbillonne en sifflant !
Les ifs, que leur vol fracasse,
Craquent comme un pin brûlant.
Leur troupeau, lourd et rapide,
Volant dans l’espace vide,
Semble un nuage livide
Qui porte un éclair au flanc.

Ils sont tout près ! — Tenons fermée
Cette salle, où nous les narguons.
Quel bruit dehors ! Hideuse armée
De vampires et de dragons !
La poutre du toit descellée
Ploie ainsi qu’une herbe mouillée,
Et la vieille porte rouillée
Tremble, à déraciner ses gonds !

Cris de l’enfer ! voix qui hurle et qui pleure !
L’horrible essaim, poussé par l’aquilon,
Sans doute, ô ciel ! s’abat sur ma demeure.
Le mur fléchit sous le noir bataillon.
La maison crie et chancelle penchée,
Et l’on dirait que, du sol arrachée,
Ainsi qu’il chasse une feuille séchée,
Le vent la roule avec leur tourbillon !

Prophète ! si ta main me sauve
De ces impurs démons des soirs,
J’irai prosterner mon front chauve
Devant tes sacrés encensoirs !
Fais que sur ces portes fidèles
Meure leur souffle d’étincelles,
Et qu’en vain l’ongle de leurs ailes
Grince et crie à ces vitraux noirs !

Ils sont passés ! — Leur cohorte
S’envole, et fuit, et leurs pieds
Cessent de battre ma porte
De leurs coups multipliés.
L’air est plein d’un bruit de chaînes,
Et dans les forêts prochaines
Frissonnent tous les grands chênes,
Sous leur vol de feu pliés !

De leurs ailes lointaines
Le battement décroît,
Si confus dans les plaines,
Si faible, que l’on croit
Ouïr la sauterelle
Crier d’une voix grêle,
Ou pétiller la grêle
Sur le plomb d’un vieux toit.

D’étranges syllabes
Nous viennent encor ;
Ainsi, des arabes
Quand sonne le cor,
Un chant sur la grève
Par instants s’élève,
Et l’enfant qui rêve
Fait des rêves d’or.

Les Djinns funèbres,
Fils du trépas,
Dans les ténèbres
Pressent leurs pas ;
Leur essaim gronde :
Ainsi, profonde,
Murmure une onde
Qu’on ne voit pas.

Ce bruit vague
Qui s’endort,
C’est la vague
Sur le bord ;
C’est la plainte,
Presque éteinte,
D’une sainte
Pour un mort.

On doute
La nuit…
J’écoute : —
Tout fuit,
Tout passe ;
L’espace
Efface
Le bruit.

28 août 1828.