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Faire le procès d’un personnage
Lecture d’une oeuvre intégrale

Cet article présente trois expérimentations menées au lycée où les élèves ont fait le procès d’un personnage. Ces projets s’appuient sur l’outil FRAMAPAD d’écriture collaborative.

Article mis en ligne le 4 février 2019
dernière modification le 29 janvier 2019

par Claire Augé

 Résumé du projet

En novembre 2014, au TNP de Villeurbanne, la création Please, Continue (Hamlet) http://www.tnp-villeurbanne.com/man... de Yan Duyvendak et Roger Bernat a été proposée. Durant le temps de la représentation, le théâtre est palais de justice, le spectateur est citoyen et Hamlet est jugé. Cette expérience enrichissante a fait naître une réflexion didactique. Si Hamlet, dans l’œuvre de Yan Duyvendak et Roger Bernat, est davantage un nom pour protéger l’anonymat de l’accusé, ne pourrait-on pas questionner pleinement des œuvres voire des personnages fictifs ?

Christian Polsaniec propose d’ailleurs dans son ouvrage Donner le goût de lire différents scénarios didactiques pour faire le procès d’un personnage.
Il s’agit de présenter ici trois expérimentations différentes menées en lycée en 2nde, 1ère STMG et 1ère ES. Lors de ces trois projets, l’outil Framapad a été utilisé afin de préparer les différents procès.

  1. Objectifs pédagogiques et compétences travaillées

- Lecture d’une œuvre patrimoniale
- Écriture de texte argumentatif
- Oral : déclamer un plaidoyer ou un réquisitoire
- Travailler collaborativement
- Enseignement Moral et Civique

Outil numérique utilisé : Framapad.

 2. Descriptif sommaire

Projet 1 : Médée, faites entrer l’accusée

Ce projet a été mené dans une classe de 1ère ES dans le cadre de l’étude de la tragédie Médée de Corneille en œuvre intégrale. Le procès a été le fil conducteur de toute la séquence qui a duré environ 8 semaines.
L’objectif de la séquence autour de la tragédie de Corneille était de rédiger le dossier d’instruction de Médée en vue de son procès.

Projet 2 : La p*** respectueuse de Sartre : le procès des réalisateurs Charles Brabant et Marcello Pagliero pour leur adaptation filmique de 1952

Ce projet a été mené avec une classe de 1èr STMG. La pièce de théâtre La p*** respectueuse de Jean-Paul Sartre a été adaptée au cinéma par Charles Brabant et Marcello Pagliero en 1952. La séquence d’ouverture du film avait déjà été analysée en début de séquence et la question de la réécriture s’était déjà posée en classe entière. Il s’agissait de conclure notre étude de cette œuvre intégrale en amenant les élèves à mobiliser leurs connaissances et leurs lectures au service d’une argumentation.

Projet 3 : La Marquise de Merteuil jugée !

Ce projet a été mené avec une classe de seconde. L’œuvre Les Liaisons dangereuses de Laclos a été lue en lecture cursive pour accompagner un groupement de textes sur la question de la femme, dans le cadre de l’objet d’étude argumentatif. Les élèves n’ont lu que les parties 1 et 4 du roman et la fameuse lettre portrait 81 ; la lecture a été complétée avec une étude du film de Frears (1988).

La Marquise de Merteuil fait partie du panthéon des grandes figures féminines de la Littérature classique. Cependant, elle dérange et inquiète les adolescents confrontés à l’œuvre difficile de Laclos. Afin d’amener les élèves à questionner ce personnage, le procès est apparu une voie royale pour entrer dans l’œuvre et surmonter l’écriture complexe de Laclos.

 3. Descriptif détaillé

Projet 1 : Médée, faites entrer l’accusée

Ce projet a été mené au fur et à mesure de la séquence au fil des lectures analytiques, lectures transversales ou lectures complémentaires. Le dossier d’instruction a été élaboré à partir de travaux rédigés individuellement, collectivement ou par groupe.

Voici le contenu de ce dossier d’instruction :

o Procès-verbal : description de la scène de crime. Le plan de ce procès-verbal a été réalisé en classe entière ; la rédaction a été partagée en plusieurs petits groupes de 4-5 élèves, en salle de cours habituelle.

o Témoignage : Theudas, homme victime de la sorcellerie de Médée et témoin du meurtre de Créon et Créuse. La réflexion autour de l’exercice a été collaborative, la rédaction a été individuelle.

o Réquisitoire : Contre Egée, accusé de complicité avec Médée. Ce texte a été rédigé seul en évaluation.

o Lettre : officielle de Corneille expliquant à l’expert psychiatrique le portrait de Médée. Ce texte a été écrit par équipe de deux.

o Interrogatoires d’écrivains : Euripide, Sénèque, Christa Wolf, Laurent Gaudé, Véronique Olmi sont interrogés pour décrire Médée. Ce travail était l’évaluation d’une lecture complémentaire d’une réécriture de Médée au choix. Il a été rédigé à la maison.

o Témoignage : Médée. Ces textes ont été rédigés, en fin de séquence, collectivement grâce à l’outil Framapad. Il s’agissait de donner enfin voix à Médée, c’est-à-dire de lui donner un espace de parole.

Vous pouvez le voir dans le numéro 7 du Canard de Chaplin, à partir de la page 22 : ici

Projet 2 : La p*** respectueuse de Sartre : le procès des réalisateurs Charles Brabant et Marcello Pagliero pour leur adaptation filmique de 1952

- Séance 1 : Projection de la séquence et réactions des élèves. Un débat commence à naître dans la classe. A ce moment-là, le professeur rebondit sur une remarque d’élèves : avons-nous le droit de changer ainsi une œuvre ? On bascule alors dans le jeu de rôle dont le professeur explique les règles. Imaginons que Sartre s’insurge contre ce changement – on’expliquera aux élèves à la fin du travail que Sartre a été consulté pour la réalisation du film – et porte plainte contre Charles Brabant et Marcello Pagliero. La classe est coupée en deux : une équipe d’avocats de la défense, une équipe d’avocats de la partie civile. Les élèves, par petits groupes de quatre, doivent lister des arguments pour défendre ou accuser les réalisateurs. L’outil Framapad permet alors un partage des idées et un travail collaboratif efficace.

- Séance 2 :

La séquence est projetée une nouvelle fois (5 minutes) et on laisse 15 minutes aux groupes pour revoir leurs notes. Pendant ce temps, le professeur change l’organisation de la classe : 2 rangées face à face pour les avocats porte-paroles (1 par groupe de 4), plusieurs rangs au fond pour le jury (les autres élèves).

Ensuite, le procès a lieu. Le professeur instaure une ambiance particulière en utilisant la rhétorique de la cour : "Levez-vous s’il-vous-plaît, Maître", etc. Ce cadre peut paraître anecdotique mais est important.
Les porte-paroles de la partie civile s’expriment, puis les avocats de la défense. Enfin, un temps de réponse et un temps d’argumentation développée s’instaurent. ( 20 minutes)
Le jury doit alors délibérer et envoie des porte-paroles rendre les décisions (5 minutes)
Dans ma classe, la moitié du jury considérait les réalisateurs comme coupables, l’autre moitié comme non coupables. Cela a donc été l’occasion d’introduire l’exercice de la dissertation : il nous faut dépasser le problème en définissant la réécriture. (bilan 15 minutes)

Projet 3 : La Marquise de Merteuil jugée !

Séance 1 : Découverte de l’œuvre et plongée dans la lecture. Travail dans les dix premières lettres sur les différentes figures féminines. Travail d’enquête par équipe de 2 (cf http://acces.ens-lyon.fr/acces/classe/numerique/presentation/classe-inversee-lettres-modernes-lycee-general/placer-leleve-en-position-denqueteur/)

Séance 2 : Les élèves ont lu entre temps la partie 1. Bilan sur la lecture et réflexion autour de la figure de Madame de Merteuil.

Séance 3 : Résumé, découverte des parties 2 et 3 du roman à partir du film de Frears.

Séance 4 : Lecture collective de la lettre 81 et début d’analyse.

Séance 5 : Travail en salle informatique sur framapad. Chaque élève est sur un ordinateur et le travail est collectif (entre 4 et 8 personnes par groupes.)

Pendant cette séance, les élèves doivent dans leurs équipes, lister des idées pour défendre la Marquise de Merteuil ou l’accuser au contraire. Etre avocat de la défense ou de la partie civile n’est pas le choix de l’élève : c’est imposé par le professeur. Les élèves doivent s’appuyer sur la lettre 81 uniquement.

Séance 6 : A partir des listes faites en séance 5, le professeur met en avant plusieurs idées clefs. Les élèves, cette fois en binôme et en classe normale, doivent faire le plan détaillé d’un paragraphe argumenté autour de l’idée clef qui leur est attribuée. Les élèves peuvent alors élargir les exemples à l’ensemble de l’œuvre.

Séance 7 : Les élèves ont lu la quatrième partie pour cette séance. Bilan de la lecture. Prolongement du travail du plan détaillé en fin de séance.

Séance 8 : Travail en salle informatique sur Framapad. On garde les binômes des deux séances précédentes. Les élèves rédigent leur réquisitoire ou leur plaidoyer. Il s’agit de travailler ici la rhétorique. En fin de séance, chaque binôme a désigné l’avocat porte-parole.

Séance 9 : Le procès. En amont, le professeur a aménagé la salle de classe comme pour un procès.

Vous pouvez visionner ce procès ici.

 4. Limites et perspectives

L’expérience du procès est très enrichissante et apporte un regard intéressant et neuf sur l’œuvre littéraire étudiée. Les trois projets présentés ici permettent de tirer les conclusions suivantes :
- Il peut y avoir deux objectifs méthodologiques différents : la préparation à la dissertation avec la question du débat (procès d’une réécriture) ou un travail sur l’appropriation d’une œuvre littéraire en laissant place au sujet-lecteur (procès de personnage)
- L’utilisation de l’outil Framapad permet un travail plus efficace de manière collaborative pour préparer à l’écriture d’un réquisitoire ou d’un plaidoyer.
- Si l’on part sur l’idée du procès, il faut le jouer : la seule écriture d’un dossier d’instruction motive peu les élèves qui ne se rendent pas compte de l’intérêt du projet. Le jeu de rôle permet aux élèves de s’investir davantage dans leurs textes et leurs idées.

De nombreux projets ont déjà été menés par des collègues de lettres et les idées sont nombreuses : procès de Thérèse Raquin, procès de Phèdre, procès de Bel-Ami ...