La réflexion portera sur la résonance :
– entre les nouveaux programmes de langues et cultures de l’Antiquité, publiés au BO N° 31 du 27 août 2009 et dont la première mise en œuvre sera effective à la rentrée scolaire 2010,
– et le socle commun de connaissances et de compétences, une disposition majeure de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005 et qui a fait l’objet du décret du 11 juillet 2006.
Le projet n’est donc pas une défense et illustration, mais seulement une clarification, une aide à la réflexion et au recul nécessaire et à ce qu’on appelle communément « la mise en œuvre du socle commun »
L’interrogation sur ce terme métaphorique nous oriente vers la recherche de liens, plus ou moins étroits, de complémentarités aussi, voire de mise en écho, de mise en perspective.
Réflexion en trois temps, sur trois plans différents et complémentaires
1. Sur le plan des principes : les professeurs de langues et cultures de l’Antiquité, discipline optionnelle, sont-ils concernés par la mise en œuvre du socle et sont-ils chargés de contribuer à son acquisition, comme leurs collègues des autres disciplines ?
2. Sur le plan des contenus : en quoi les programmes contribuent-ils à l’acquisition des compétences du socle ?
3. Sur le plan de la pédagogie : les programmes disent-ils quelque chose sur la manière de construire des compétences et de les évaluer ?
Sur le plan des principes : les professeurs de langues et cultures de l’Antiquité, discipline optionnelle, sont-ils vraiment concernés par la mise en œuvre du socle et sont-ils chargés de contribuer à son acquisition par les élèves ?
Pourquoi poser la question ?
Parce que les professeurs de langues anciennes se la posent et la poseront aux formateurs ou accompagnateurs pédagogiques que vous êtes !
Et quand ce ne sont pas les professeurs de langues anciennes, ce sont, ou ce seront les professeurs des autres disciplines, voire les chefs d’établissement, qui se la poseront, au mieux vous la poseront, notamment au moment de la validation du socle : leurs collègues de lettres classiques ont-ils voix au chapitre en matière d’évaluation du socle ?
Deux raisons peuvent conduire les enseignants de langues anciennes à se poser la question de leur participation à l’acquisition des compétences du socle :
1. Première raison :
D’abord, parce que le socle commun est communément considéré (et les medias s’en sont fait l’écho), comme un contrat que l’institution passe avec tous les élèves pour l’acquisition des compétences et connaissances qu’il est indispensable à tous les élèves d’avoir acquis à la fin de la scolarité obligatoire, autrement dit des compétences de base, des fondamentaux.
Le site du Ministère, Eduscol, confirme : « La déclinaison du socle commun touche les enseignements de la scolarité obligatoire ».
Le fait même de dispenser un enseignement optionnel, qui va s’adresser à seulement environ 25 % des élèves du collège, (un peu conçus comme des "happy few") et en général à ceux qui ont le moins de difficultés scolaires, et sur des contenus par la même non partagés par tous, semble placer d’emblée l’enseignement des langues anciennes à l’écart, en tous les cas lui donner une place quelque peu marginale.
2. Deuxième raison :
Le texte du socle commun peut encore encourager une telle lecture, parce qu’il fait référence explicitement aux autres disciplines du collège ; alors que nulle part, pas même dans le pilier 5 « culture humaniste », la discipline des langues anciennes n’est nommée ni même clairement suggérée (contrairement aux autres disciplines : les langues vivantes étrangères, dans le pilier 2, etc.)
C’est seulement dans le Pilier 5 « culture humaniste » qu’on trouve une référence possible à la discipline « être préparé à partager une culture européenne ; par une connaissance des textes majeurs de l’Antiquité (l’Iliade et l’Odyssée, les récits de la fondation de Rome). Mais on pense d’abord à l’étude des textes fondateurs dans les programmes de 6° du collège, du français et d’histoire, qui permettent en effet, à tous les élèves d’acquérir, en traduction, « une connaissance des textes majeurs de l’antiquité ».
Il est donc certain que rien dans la lettre du socle n’adresse ouvertement un signal vers la discipline des lettres classiques. Alors, ma foi, si je suis enseignant de langues anciennes, que j’ai fait une lecture rapide du socle, ou que je le connais encore seulement à travers ce qu’en disent certains medias ou les syndicats, que j’ai une conception encore fortement ou exclusivement disciplinaire de la compétence la tentation du suave mari magno peut me toucher et elle peut être grande de se dire que les langues anciennes seraient un îlot de travail non "socléen" !Et depuis mon îlot de travail non "socléen", je regarde, de loin, les collègues des enseignements fondamentaux affronter la mise en œuvre du socle et son évaluation, ses difficultés, voire ses périls !
Cette conception serait sans doute confortable dans un premier temps ; mais elle renverrait encore plus, et à très court terme, les langues anciennes dans la marginalisation (déjà effective dans beaucoup d’établissements scolaires) et serait sans doute fatale pour notre discipline, à plus ou moins court terme.
Alors oui, nous démontrerions que les langues anciennes n’ont pas leur place dans l’enseignement du collège et n’ont guère d’intérêt pour la formation des futurs élèves qui doivent acquérir obligatoirement le socle commun.
3. Une lecture attentive d’ailleurs du texte de la loi d’orientation de 2005 et du décret de 2006 sur le socle commun doit éviter de se fourvoyer.
Les deux textes disent que travailler à l’acquisition du socle, c’est alors travailler à la réussite non pas de tous, mais « à la réussite de chacun » :
Je cite la loi qui dispose en effet (article 9) que « la scolarité obligatoire doit au moins garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition du socle commun constitué d’un ensemble de connaissances et de compétences qu’il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et professionnel et réussir sa vie en société. » (Code de l’éducation, art. L. 122-1).
Et deux phrases du socle sont sans ambigüité :
– une dans le préambule du socle : « A l’école et au collège, tous les enseignements et toutes les disciplines ont un rôle à jouer dans l’acquisition du socle. »
– une autre dans l’introduction du Pilier 1 : « chaque professeur et tous les membres de la communauté éducative sont comptables de cette mission prioritaire » de l’institution scolaire ».
Le socle n’a donc pas pour but une acquisition de masse (conduire 90% ou 95% d’une classe d’âge à l’acquisition du socle, comme on a pu le dire précédemment pour le BAC), mais une acquisition par chaque élève, quel que soit son parcours scolaire.
- La transmission urbi et orbi de ce message est essentielle : oui, sur le plan du principe, les nouveaux programmes de langues et littératures de l’Antiquité ont pour mission aussi de contribuer à faire acquérir les compétences du socle commun. Oui, les langues anciennes au collège ont une mission « socléenne », sinon herculéenne.
- Il y a là un enjeu crucial pour l’avenir des langues anciennes au collège. Le repli des professeurs de lettres classiques, loin du socle commun, pourrait bien arranger tout le monde et en tous cas ne gênerait personne ; et la mort des langues anciennes au collège serait programmée.
Les enseignants doivent travailler à faire reconnaître la contribution de leur discipline à l’acquisition du socle commun.
Ce sera mon second point : sur le plan des contenus
Sur le plan des contenus : en quoi les nouveaux programmes de langues et cultures de l’antiquité sont-ils en résonance avec le socle commun ? En quoi contribuent-ils à l’acquisition des compétences ?
1. Si les langues anciennes ne sont explicitement nommées nulle part dans le socle, c’est donc qu’elles sont partout et que leur rôle dans la mise en œuvre du socle ne fait pas de doute.
Optons pour cette lecture ouverte et vivifiante.
Il convient de rappeler la logique fondatrice du socle.
Deux aspects :
– Premier aspect : la logique du socle est celle d’une globalité, d’un tout.
Je rappellerai brièvement que le socle a été conçu comme un tout.
Vous pouvez, selon votre sensibilité, vous le représenter comme une étoile à 7 branches ou un monstre à sept têtes (une sorte d’hydre de l’Erne), où chaque partie représente une des 7 grandes compétences qui sont à acquérir globalement (les 7 piliers ou grandes compétences) : avoir acquis le socle commun, c’est maîtriser cet ensemble de 7 grandes compétences (les fameux 7 piliers). L’élève doit reconstituer l’étoile à 7 branches ou le monstre à 7 têtes !
– Deuxième aspect : la logique du socle est une logique transversale aux disciplines (et non une logique disciplinaire).
La particularité est qu’une branche de l’étoile est une compétence et non une discipline, ni même un groupe de disciplines.
Chaque grande compétence est conçue comme l’articulation de diverses facettes
- de « connaissances fondamentales pour notre temps »,
- de « capacités à les mettre en œuvre dans des situations variées »
- d’ « attitudes indispensables tout au long de la vie », « comme l’ouverture aux autres, le goût pour la recherche de la vérité, le respect de soi et d’autrui, la curiosité et la créativité »
Diverses facettes qui sont transversales aux disciplines.
Les 7 compétences sont transversales aux disciplines : elles recouvrent plusieurs disciplines et chaque discipline a un rôle à jouer dans l’acquisition de chaque compétence. (ce qui explique les répétitions d’un pilier à l’autre : ex. pour lire, parler, écrire)
(Au passage, une remarque : dans les nouveaux programmes, on note un emploi polysémique du terme « compétence » : le tableau dit « des compétences » renvoie notamment, selon la terminologie du socle, aux capacités, éléments de la compétence). Un détail !
Le socle n’est pas conçu comme un catalogue dans lequel chaque discipline chercherait les éléments de contenu qui la concerneraient.
Le texte officiel le dit : « Toutes les disciplines enseignées à l’école et au collège sont mises au service du socle commun. Chaque compétence requiert la contribution de plusieurs disciplines et, réciproquement, une discipline contribue à l’acquisition de plusieurs compétences ».
2. On voit donc qu’il n’y a pas lieu de développer une concurrence sauvage, qui serait absurde entre les disciplines
Concurrence que l’on voit poindre ici ou là : on entend, « Nous devons être dans le pilier 2, dans le pilier 3 ou dans le pilier 4 », sinon nous serons marginalisés, ce sera la mort de notre discipline La concurrence n’a pas lieu d’être.
Les contenus de chaque discipline ne sont pas menacés et ils ne seront pas changés : le professeur de langues anciennes continue à enseigner, dans sa classe, sa discipline, le latin ou le grec, et ne va pas essayer à tout prix de chercher à introduire un peu de maths, de langues vivantes, d’histoire, autrement dit certains contenus disciplinaires des autres disciplines.
3. C’est en revanche la manière de penser la discipline et le positionnement de l’enseignant qui sont modifiés par la mise en œuvre du socle
S’agit-il d’une révolution « copernicienne » ? En quoi ?
Si la logique du socle est une logique globale, du tout, le rôle de l’enseignant est de faire comprendre à l’élève ce tout et la manière de l’atteindre.
Il a donc deux missions nouvelles :
- La première (au-delà de la transmission des connaissances) : faire comprendre à l’élève la cohérence de ce qu’il apprend, laquelle donnera sens à ce qui est appris et tout en enseignant sa discipline, faire établir des liens, des ponts, entre ce qui est appris dans les différentes disciplines.
Réactiver les interactions entre les disciplines, sans porter atteinte pour autant aux contenus de chaque discipline.
Cf. Préambule des programmes : « l’enseignement des langues anciennes rayonne vers les autres disciplines, scientifiques, historiques, linguistiques, artistiques »(aucune idée d’assimilation ni projet de vendre son âme à autrui !)
Eduscol l’exprime clairement : « la spécificité du socle réside dans la volonté de donner du sens à la culture scolaire fondamentale en construisant les ponts indispensables entre les disciplines et les programmes ».
- La deuxième mission : faciliter chez l’élève les transferts (de connaissances, de capacités ou d’attitudes) déterminées par un document national de référence : une sorte de référentiel commun à tous les professeurs (le socle).
Rappel de la définition de Xavier Roegiers, en 2000 : « la compétence, c’est la possibilité, pour un individu, de mobiliser de manière intériorisée, un ensemble intégré de ressources en vue de résoudre une famille de situations problèmes ».
Le site Eduscol ne dit pas autre chose : « Maîtriser le socle, c’est être capable de mobiliser ses acquis dans des tâches et des situations complexes, à l’Ecole, puis dans la vie ».
Les programmes de langues et littérature de l’Antiquité insistent sur la nécessité de créer cette aptitude au transfert. Transférer et réutiliser : « L’étude du système linguistique des langues latine et grecque, langues flexionnelles, place les élèves devant des problèmes complexes, dont la résolution aide à l’acquisition de compétences fondamentales et d’attitudes intellectuelles, transférables dans de nombreux autres contextes. »
« Les étapes de la lecture et de la traduction initient l’élève à l’élaboration progressive du sens : l’élève acquiert ainsi des compétences de lecture et d’écriture transférables dans d’autres disciplines ».
C’est donc le positionnement de l’enseignant qui se trouve modifié : c’en est fini du nombrilisme disciplinaire ! L’enseignant se décentre :
-
- former l’élève à sa discipline ; en langues anciennes ou en français : lire, écrire, parler ;
- par là-même et au-delà, avoir conscience que la discipline peut et doit contribuer à la formation globale de l’élève. Il est responsable de la formation globale de son élève et n’est pas seulement chargé de le former à sa discipline.
Pour les enseignants, ce sera l’évolution majeure : introduire systématiquement dans les paramètres de réflexion qui président à l’élaboration d’une séance ou d’une séquence ou d’un projet pédagogique un paramètre nouveau : comment ma discipline contribue-t-elle à la construction des grandes compétences qui donnent son sens à l’école obligatoire d’aujourd’hui ?
Pour répondre à cette question (comment ma discipline contribue-t-elle à la construction des grandes compétences qui donnent son sens à l’école obligatoire d’aujourd’hui ?), il importe de savoir clairement à l’acquisition de quelles compétences ont doit contribuer.
4. Quelles sont les 7 grandes compétences à la maîtrise desquelles le professeur de Langues et cultures de l’Antiquité doit travailler ?
Ce référentiel commun de formation qu’est le socle gagnerait, pour souligner sa logique fondatrice transversale, à présenter des sous-titres qui feraient explicitement référence aux compétences transversales visées par la formation globale (au lieu de sembler faire référence à certaines disciplines) ;
Rien ne vous empêche avec les professeurs, pour clarifier, et simplifier, rassurer, d’expliciter les 7 grandes compétences. Je vous propose par exemple de donner les sous-titres suivants :
Et tout devient plus clair :
- pilier 1 : Maîtrise de la langue française : comprendre un énoncé français et communiquer dans la langue française (à l’écrit et à l’oral) ;
- Pilier 2 : Pratique d’une langue étrangère : comprendre et communiquer dans une langue vivante étrangère (à l’écrit et à l’oral) ;
- Pilier 3 : compétences de base en mathématiques et culture scientifique et technologique : acquérir des modes de raisonnement de type scientifique et savoir les mettre en œuvre ;
- Pilier 4 : maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication : connaître et utiliser les TICE dans toutes les disciplines ;
- Pilier 5 : culture humaniste : acquérir des repères pour mieux se situer dans la société d’aujourd’hui et être ouvert au monde ;
- Pilier 6 et 7 totalement transversaux aux disciplines :
- Pilier 6 : compétences civiques et sociales : acquérir à la fois la culture civique de son pays et le sentiment d’appartenance à l’Europe
- Pilier 7 : autonomie et sens de l’initiative.
5. Sur le plan des contenus, comment lire les six pages du Préambule des programmes de langues anciennes en résonance avec les sept grandes compétences (ou piliers) du socle ?
Je vais passer vite, en indiquant seulement les domaines ou éléments de résonance (sans développer ou citer le texte, faute de temps nécessaire)
On pourrait aisément établir un tableau complet des résonances, à partir des citations communes dans les deux textes. Ce serait trop long. J’indiquerai seulement les domaines de résonance et quelques citations.
– Pilier 1 : Maîtrise de la langue française
Comment les programmes de langues et cultures de l’Antiquité permettent-ils (si je reprends le sous-titre proposé) de comprendre un énoncé français et de communiquer dans la langue française (à l’écrit et à l’oral) ?
Deux éléments de résonance :
- Premier élément de résonance : l’idée est fortement exprimée d’un enseignement décloisonné, qui, parce qu’il est fondé sur la lecture des textes, est particulièrement favorable à l’apprentissage de la langue française.
- Deuxième élément de résonance : le lien entre l’apprentissage de la langue latine et l’enrichissement de la pratique que l’élève peut avoir de la langue française est sans cesse rappelé, qu’il s’agisse de l’acquisition du lexique ou des acquisitions grammaticales.
Je n’insiste pas.
Cette résonance du cours de langue ancienne avec le pilier 1 est certainement celle qui est la plus évidente pour chacun.
Et pourtant, on peut établir la même résonance pour les 6 autres piliers.
– Pilier 2, Pratique d’une langue vivante étrangère
Comment les programmes de langues et cultures de l’Antiquité permettent-ils (si je reprends le sous-titre proposé) de comprendre et de communiquer dans une langue vivante étrangère (à l’écrit et à l’oral)
Je vous invite à envisager quatre éléments de résonance
- 1er élément de résonance : les langues et cultures de l’Antiquité permettent de développer la capacité de comprendre un énoncé, capacité essentielle dans la pratique d’une langue vivante (cf. CECRL)
Transfert de démarches
Bien entendu, les connaissances seront principalement apportées par l’enseignement des langues vivantes étrangères ; mais les langues et cultures de l’Antiquité vont apporter une contribution à l’apprentissage de certaines capacités, notamment la capacité à comprendre un énoncé.
- 2ème élément de résonance : les langues et cultures de l’Antiquité permettent de faire acquérir des connaissances grammaticales nécessaires à la maîtrise du code linguistique spécifique toute LVE (en apportant des savoirs et savoir-faire sur la nature des mots, les fonctions, la syntaxe etc.) :
- 3ème élément de résonance : les langues et cultures de l’Antiquité permettent de faire acquérir du lexique, qui est au cœur d’un grand nombre de langues vivantes étrangères apprises au collège, en particulier des langues romanes
Je dois citer :
dans les programmes de langues et cultures de l’Antiquité : « Qu’il s’agisse du lexique ou de la grammaire, les principales caractéristiques de notre langue, des langues romanes ou de la plupart des langues européennes s’éclairent par leur mise en perspective avec celles des langues de l’Antiquité ». de l’héritage des langues de l’Antiquité ».
ou encore : « L’observation du fonctionnement des langues que sont le latin et le grec, l’examen comparé du lexique, de la syntaxe, de la morphologie, le regard réflexif sur le langage qu’induisent ces pratiques, aident l’élève à comprendre et à apprendre sa propre langue, mais aussi la plupart des langes européennes ».
Dans les années à venir, les enseignants de langues et cultures de l’Antiquité devront davantage jouer la carte d’un enseignement, plus ouvert sur les langues et littératures européennes, mieux articulé à l’enseignement des LVE et davantage présenté comme fondement de la culture européenne.
Je serais tentée de dire que la vitalité des langues et cultures de l’Antiquité dans le second degré me semble en dépendre pour l’avenir. Sans doute conviendra-t-il ne pas attendre de nouveaux programmes pour travailler dans cette direction (je vous renvoie au livre de Pierre Judet de la Combe/Heinz Wisman, L’Avenir des langues, Repenser les Humanités, Ed. du Cerf, 2004.
- 4ème élément de résonance : les langues et cultures de l’Antiquité, comme les langues vivantes, permettent de développer la conscience d’une appartenance européenne. Le texte des programmes le dit explicitement.
– Pilier 3 : compétences de base en mathématiques et culture scientifique et technologique
Sans doute le pilier auquel l’on penserait le moins associer les langues anciennes ; sauf si à nouveau on explicite le contenu sous forme de sous-titre :
Comment les programmes de langues et cultures de l’Antiquité permettent-ils de (sous-titre proposé) d’acquérir des modes de raisonnement de type scientifique et de savoir les mettre en œuvre ?
Deux éléments de résonance :
- 1er élément de résonance : une résonance concernant les contenus : les programmes de langues et cultures de l’Antiquité à leur façon contribuent à la culture scientifique et technique
… en abordant, je cite, « tous les aspects de la culture antique, l’histoire des idées, des sociétés, le fait religieux, la culture scientifique et technique ».
Comme dans les programmes du lycée, les programmes pour le collège ont introduit un domaine :
« Représentations du monde : maîtriser le monde, science et superstition », qui vise à permettre la lecture de textes scientifiques antiques. Ainsi les langues et cultures de l’Antiquité aident à comprendre progressivement comment naît une science à travers le temps.
- 2ème élément de résonance, beaucoup plus important : une résonance d’ordre méthodologique : l’élève, en cours de langues et cultures de l’Antiquité, acquiert un mode de raisonnement et pratique une démarche transférables dans les domaines scientifiques
Le pilier 3 insiste sur ce qu’est la démarche scientifique : démarche d’observation, mais aussi de recherche, de questionnement, de mise en perspective, de découverte.
Sur tous ces éléments de la formation de l’esprit, les programmes de langues anciennes prétendent aussi avoir une influence forte, par la démarche de lecture des textes et l’activité de traduction, qui est au cœur du cours de langues et cultures de l’Antiquité :
« La lecture collective permet le repérage d’indices concrets, servant de points de départ aux hypothèses de sens ; l’élève constate que la lecture n’est pas simplement linéaire, mais qu’elle constitue une véritable enquête. Elle invite à un jeu de piste subtil, au terme duquel se découvre la cohérence générale du texte ».
On lit aussi : la pratique récurrente et systématique aux textes et la connaissance des mécanismes grammaticaux sont aussi caractérisées comme faisant « appel à l’esprit d’analyse, à la logique, ainsi qu’à l’intuition ; (elles participent par conséquent pleinement à la structuration de la pensée ».
L’activité de traduction d’un texte est une activité propre à former un esprit rigoureux et logique ; face à une difficulté d’emblée complexe, il s’agit de repérer où est le cœur de la difficulté, d’essayer et de confronter des solutions, de vérifier des hypothèses : démarche qui nous semble bien être en résonance avec celle de l’esprit scientifique telle qu’elle est définie dans le pilier 3.
– Pilier 4 : la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication
Comment les programmes de langues et cultures de l’Antiquité permettent-ils (si je reprends le sous-titre proposé) de connaître et de savoir utiliser les TICE dans toutes les disciplines ?
2 éléments de résonance : je passe vite car vous pourrez le démontrer aisément.
- 1er élément de résonance : le cours de langues et cultures de l’Antiquité permet de savoir utiliser les TICE comme outil de recherche documentaire
Les sites internet deviennent en particulier les principales ressources pour l’ouverture à l’histoire des arts, dont il est fait mention (comme dans les nouveaux programmes de LA du lycée).
- 2ème élément de résonance : le cours de langues et cultures de l’Antiquité permet de savoir utiliser les TICE comme outil de travail sur la langue
– Pilier 5 : la culture humaniste
Comment les programmes de langues et cultures de l’Antiquité permettent-ils (si je reprends le sous-titre proposé) à l’élève d’acquérir des repères pour mieux se situer dans la société actuelle et être ouvert au monde ? (ce qui pourrait bien être une forme moderne de l’humanisme)
- 1er élément de résonance (dans ce pilier, qui est sans doute le plus confus et le plus hétérogène)
Le cours de langues et cultures de l’Antiquité permet à l’élève d’acquérir ces repères, par l’accès privilégié aux grandes œuvres littéraires et artistiques.
L’élève acquiert ainsi (pilier 5) « tout à la fois le sens de la continuité et de la rupture, de l’identité et de l’altérité ».
P. 2 programmes : par la lecture des textes littéraires, « l’élève peut acquérir les repères indispensables pour mettre en perspective les représentations du monde qui lui sont proposées quotidiennement dans notre société de communication ». Ces allers et retours à travers l’histoire entre les mondes grec et romain et les mondes contemporains exercent l’esprit critique, favorisent la perception des permanences et évolutions. ».
Ainsi les élèves trouvent-ils dans l’étude de la culture antique des éléments de réponse aux interrogations sur les grands problèmes de l’existence humaine et les repères nécessaires pour comprendre le monde dans lequel ils vivent, pour comprendre, je cite « ce qu’il y a d’universel et donc d’essentiel dans toutes les cultures humaines ».
Le cours de langues et cultures de l’Antiquité s’attache à donner à l’élève l’ouverture d’esprit nécessaire pour vivre dans un monde complexe et en perpétuelle évolution. Loin d’être sclérosés et repliés sur eux-mêmes, les programmes affichent leur volonté d’ouverture au monde.
Quant aux piliers 6 et 7, le socle en introduction dit qu’ils « ne font pas encore l’objet d’une attention suffisante au sein de l’institution scolaire ».
Ce sont deux piliers sans contexte transversaux.
– Pilier 6 : compétences sociales et civiques
Comment les programmes de langues et cultures de l’Antiquité permettent-ils de (si je reprends le sous-titre proposé) de faire acquérir la culture civique de son pays et le sentiment d’appartenance à l’Europe ?
Deux éléments de résonance
- 1er élément de résonance : les programmes de langues et cultures de l’Antiquité proposent à l’élève un « parcours civique », que le pilier 6 appelle de ses vœux.
Il s’agit (cf. socle) de développer « une culture commune », de faire acquérir un socle « ciment de la nation : ensemble de valeurs, de savoirs, de langages, et de pratiques dont l’acquisition repose sur la mobilisation de l’école ».
De la 5° à la 3°, les trois grandes entrées thématiques et problématiques des programmes de langues et cultures de l’Antiquité (histoire et vie de la cité, vie privée et vie publique, représentation du monde), permettent à l’élève d’effectuer un « parcours civique ».
- 2ème élément de résonance : les Programmes de langues et cultures de l’Antiquité affichent leur volonté de « développer le sentiment d’appartenance à l’Union européenne… » (le socle commun).
Loin de toute tentation ou de tout démon nationalistes, les programmes essaient au contraire de préparer l’élève à sa future vie de citoyen européen. Nous en avons parlé à propos du pilier 2 : Pratique des langues vivantes étrangères.
– Pilier 7 : autonomie et acquisition de l’esprit d’initiative.
Comment les programmes de langues et cultures de l’Antiquité permettent-ils de développer « autonomie » et « esprit d’initiative » ?
Deux domaines de résonance
- 1er domaine de résonance : le développement de « l’autonomie »
Développer chez les élèves l’autonomie : « condition de la réussite scolaire, d’une bonne orientation et de l’adaptation aux évolutions de sa vie personnelle, professionnelle et sociale (pilier 7) » est un objectif des programmes de langues et cultures de l’Antiquité.
L’adjectif « autonome » est récurrent : 7 occurrences de l’adjectif, un emploi du nom autonomie (P. 3, lexique).
Que les élèves acquièrent une autonomie effective dans les apprentissages et activités de lecture et d’écriture, est la condition en effet, comme le dit le socle, « de la réussite scolaire, d’une bonne orientation et de l’adaptation aux évolutions de sa vie personnelle, professionnelle et sociale ».
- 2ème domaine de résonance : le développement de « l’esprit d’initiative »
Le pilier 7 insiste sur l’importance d’apprendre à l’élève « à se montrer capable de mettre en œuvre et de réaliser des projets individuels ou collectifs ».
En lisant les nouveaux programmes de langues et cultures de l’Antiquité, on ne peut qu’être frappé par la conception, qui y est développée, d’un enseignement qui place consciemment l’élève en situation d’activité, et non de pure réception, et qui encourage les démarches de recherche et de projet.
Le terme de « recherche » : est récurrent ; de même, pour le terme « découvrir » ou encore les mots « choix », « choisir » (6 occurrences dont 5 dans le sens de « faire des choix »).
Sans nul doute, les programmes de langues et cultures de l’Antiquité permettent de développer des connaissances, capacités et attitudes transférables à d’autres disciplines et nécessaires à la maîtrise des 7 grandes compétences du socle commun.
Pour finir, en troisième partie, comment mettre en œuvre ces résonances ? Comment construire des compétences en classe ?
Résonances sur le plan de la pédagogie entre socle et programmes ?
– 1. Le socle ne dit rien d’explicite sur l’aspect pédagogique.
– 2. Mais les programmes de langues et cultures de l’Antiquité, eux, apportent des éclairages pédagogiques importants sur la manière de construire des compétences en classe
Cinq points notamment sont soulignés :
Importance de :
- (1) de préciser les objectifs de l’enseignement, d’inscrire, je cite, l’enseignement : « dans un projet de lecture clairement identifié », bref, d’expliciter la démarche d’apprentissage.
- (2) placer l’élève en situation de questionnement et de réflexion avant toute chose, démarches qui sont présentées comme nécessaire à l’appropriation des notions (2 occurrences). ;
Les occurrences des termes « réfléchir, réflexion », et du verbe « rechercher » sont très nombreuses.
- (3) questionner régulièrement l’élève et de le mettre en situation de « réinvestir » : 14 occurrences de ce verbe « réinvestir ». (importance des évaluations formatives).
- (4) varier les situations d’apprentissage (7 occurrences de « varier », 10 de « divers, diversifier ») : la compétence n’est vraiment acquise que lorsqu’elle a été vérifiée dans des situations différentes (renvoi à Xavier Roegiers).
- (5) rendre les « apprentissages progressifs », notion centrale dans le socle qui s’acquiert progressivement de la maternelle à la fin de la scolarité obligatoire à 16 ans, au rythme des l’évolution des élèves, en capitalisant les acquis en tenant compte de la nécessaire maturation des élèves.
Dans les programmes, je cite un paragraphe en particulier : « la rencontre d’un fait de langue n’entraîne pas son appropriation immédiate : certaines tournures seulement observées et relevées pour être étudiées plus tard. Ainsi est mise en place- surtout pour les notions les plus complexes- une stratégie d’apprentissage soucieuse d’opérer par étapes : repérer, expliquer, mémoriser, réinvestir. »
– 3. Un point n’est abordé ni dans le texte du socle ni dans celui des programmes : celui de l’évaluation.
Point cependant essentiel, qu’il serait utile d’aborder dans les ateliers de cet après-midi pour les langues et cultures de l’Antiquité et lors de la rencontre du 3 février prochain (pour l’ensemble des IA-IPR).
On peut craindre en effet que la nécessité de la validation finale de la maîtrise du socle ne pervertisse la mise en œuvre, en masquant les vrais enjeux et en déplaçant les centres d’intérêt.
Eviter la tentation de « la mise en grille des compétences » (pour reprendre l’expression d’une IPR de Versailles)
Pas de technicité et de formalisme qui ferait de l’évaluation un mammouth socléen primaire et sans saveur, alors qu’elle doit rester un acte pédagogique de bon sens.
CONCLUSION
– 1. Les programmes de langues et cultures de l’Antiquité sont indiscutablement en résonance avec les compétences du socle : ils ont la même finalité pour la formation de l’élève, une formation globale de type humaniste (où les connaissances ont toute leur place)
– 2. Cette résonance suppose un enseignement qui « rayonne » vers les autres disciplines, scientifiques, historiques, linguistiques, artistiques. la condition de leur vie dans le second degré. C’est ce domaine de la pédagogie qui sera le lieu de « la révolution copernicienne » dont on a parlé.
– 3. Le socle est une bonne idée, même si la lettre en est parfois troublante et l’organisation pas toujours claire.
Bien distinguer
- le document du socle : texte parfois confus, pas très bien écrit, plein de répétitions, en somme imparfait
- et l’esprit du socle : donner à l’élève une formation globale,
- qui va lui permettre de transférer ses acquis dans d’autres domaines et d’autres situations (scolaires, puis professionnelles et autres) ;
- qui va lui faire comprendre les liens entre les différentes acquisitions.
– 4. Dans son traité de 1627 : La Grande didactique, Comenius écrit :
« Lorsque l’éducation générale de la jeunesse commencera par la bonne méthode, il ne manquera plus à personne ce qui lui est nécessaire pour bien penser et bien agir ».
Le socle est dans notre société, qui ne peut plus être celle des années 60, 70, même 80 ou 90, une tentative de proposition de formation, de « bonne méthode », pour que la jeunesse d’aujourd’hui dans son ensemble, dispose de ce qui lui est « nécessaire pour bien penser et bien agir ».
Les connaissances sont plus importantes que jamais aujourd’hui : mais sans la capacité à les mettre en œuvre et à les réinvestir, elles ne sont rien. La société de demain sera celle de l’adaptation professionnelle et de la mobilité géographique, de l’informatique et de l’internet, de la communication orale et écrite, des sciences et des techniques : tous domaines qu’englobe le socle.
J’espère vous avoir convaincus, mes chers collègues, (si besoin en était), que la contribution des langues anciennes au socle commun est, pour reprendre une expression du préambule des programmes, la condition même de « la vitalité de la langue latine ». Pas de « vitalité de la langue latine » dans la frilosité, le doute, l’abstention, le suave mari magno. !