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LCA - un apprentissage du lexique fondé sur la ritualisation : l’adaptation du jeu Code Names
Article mis en ligne le 29 février 2024

par Lorène Ujhelyi

« - En trois mots : "Tablette" !
- Je dirais scribo, is, ere parce qu’on écrit sur une tablette, puis apis, is, f., peut-être pour les tablettes de cire et enfin liber, bri, m., même si c’est le moins évident, mais le livre comme la tablette recueillent l’écrit. »
Commune en classe de latin, cette situation de communication entre deux élèves repose sur l’adaptation du jeu "Code Names", utilisé comme activité ritualisée dans la perspective d’acquérir, enrichir et réemployer le lexique latin et, surtout, de parvenir à une mémorisation durable.

Afin d’accéder à une certaine autonomie dans la lecture et la traduction d’un texte latin, il va sans dire que l’acquisition d’un bagage lexical est primordiale.

Répondre à cet enjeu fait ainsi l’objet d’une expérimentation au sein d’une classe de seconde depuis la rentrée 2023. Cette expérimentation vise à acquérir les connaissances lexicales indispensables, en recourant à des pratiques susceptibles de faciliter l’effort de mémoire par la ritualisation. En effet, les activités ritualisées permettent de fixer des connaissances en multipliant les rencontres d’un mot -puisqu’il est question ici d’acquisition du vocabulaire- par les élèves. Par ailleurs l’avantage d’une pratique rituelle réside dans une mise en activité rapide, dans la mesure où la situation est déjà connue des élèves.

La ritualisation dont il sera question dans cet article prend ainsi la forme de l’adaptation en latin du jeu Code Names, un jeu d’association d’idées et de déduction.

1.Objectifs pédagogiques

L’objectif principal de cette expérimentation porte sur l’acquisition progressive d’un bagage lexical que l’on est en droit d’attendre de la part d’un lycéen en fin de cycle.
Le jeu adapté du Code Names place les élèves en situation de communication et leur permet d’opérer des mises en réseau de mots fondées sur leur analyse de la compréhension de l’autre. Par ailleurs, cette mise en relation de termes entre eux vise à les engager dans une attitude réflexive de la langue.

Compétences mises en œuvre :
  • Développer son vocabulaire
  • Distinguer explicite et sous-entendu dans un propos
  • Interagir avec autrui
  • Mettre en réseau les mots
  • Analyser le sens des mots (notamment dans leur polysémie)

2.Descriptif sommaire

Le jeu Code Names - ou Vocabularium dans la version adaptée ici- est un jeu fondé sur le principe d’association d’idées, d’appariement entre mots ou notions et de déduction.

Les joueurs s’affrontent en deux équipes. La mise en place consiste en la disposition de 25 cartes comportant un mot chacune et ordonnées en une grille de 5 par 5. Chaque équipe désigne une personne chargée de faire deviner à ses coéquipiers une partie de ces mots, le plus rapidement possible, avant l’équipe adverse et sans tomber sur le "mot noir".

L’adaptation qui est faite du Code Names - avec des indices donnés sur les cartes et la fourniture d’un glossaire - a été réfléchie afin de permettre l’autonomie des élèves et de faciliter la structuration de la réserve lexicale.

Ce jeu s’inscrit dans le cadre d’une ritualisation de l’apprentissage du lexique latin. En effet, à un rythme bimensuel, la mise en place du jeu permet au professeur d’expliciter des termes latins ; la pratique du jeu quant à elle engage les élèves à mettre en réseau les mots à leur disposition ; l’évaluation de son côté est un outil pour mesurer les progrès des élèves dans l’apprentissage du vocabulaire.

3.Descriptif détaillé

Niveaux : Cycles 3 et 4, lycée
Nombre de joueurs par plateau : 2 équipes de 2 à 8 joueurs maximum
Temps de la mise en place : 5 minutes
Durée d’une partie : 15 à 25 minutes
Matériel pour un plateau : 9 cartes équipe Calchas (bleu), 9 cartes équipe Pythie (rose), 1 carte noire, 7 cartes neutres (jaune), au moins 25 cartes-mots recto-verso, des cartes clefs et 1 glossaire.

Le jeu dont il est question dans cet article peut se destiner tant aux élèves de cycle 3 et 4 qu’aux élèves de lycée. Le temps consacré à la mise en place d’une partie est très court puisqu’il faut compter environ cinq minutes pour constituer les groupes et disposer les cartes. La durée d’une partie est aléatoire et dépend de la capacité des élèves à trouver des associations d’idées entre les mots, toutefois une partie dépasse rarement les vingt-cinq minutes. C’est la raison pour laquelle une partie peut se déployer au sein d’une séance. Toutefois, dans le cadre de l’expérimentation présentée au sein d’une classe de seconde qui bénéficie de deux heures de latin par semaine, l’on a privilégié un temps ritualisé d’une heure toutes les deux semaines, au regard d’un emploi du temps qui place la seconde heure de latin le vendredi de 16h à 17h une semaine sur deux, une tranche horaire que l’on conçoit peu productive mais propice à ce genre de rituel ludique.

L’élaboration d’un lexique de base

Le choix d’un ensemble de mots constitutifs du bagage d’un lycéen en fin de cycle nécessite une réflexion portant à la fois sur une logique fréquentielle, à la fois sur l’articulation avec l’étude de mots-concepts en lien avec les différents objets d’étude au programme. L’objectif est ici d’atteindre 500 mots de familles lexicales différentes. Si l’on imagine que cette pratique de remobilisation sur la base de 500 mots s’articule avec l’étude du vocabulaire de textes latins rencontrés en situation de traduction, l’on peut estimer que le bagage du lycéen en fin de cycle peut atteindre une connaissance raisonnable du lexique.

Puisque l’expérimentation porte sur des classes de lycée, l’on pourra se rapporter aux textes du programme parus au BO pour constituer ce lexique et l’élaborer à partir des mots concepts tels que anthropos et homo, phusis et natura, zôon et animal, oikouménè et orbis terrarum, politès et ciuis, dèmos et populus ou encore hiéros et sacer. Dans cette perspective, il a été fait le choix d’intégrer des mots en grec au jeu afin de permettre de faire dialoguer - avant même leur étude conjointe en cours, ces mots concepts.

Dans le cadre de l’expérimentation proposée dans cet article et de son évaluation, de septembre à décembre 2023, le nombre de mots proposés aux élèves étaient de 96 correspondant à 48 cartes-mots recto-verso. Or, ce nombre rendait difficile l’organisation en deux groupes : en décembre 2023, le nombre de mots a donc été augmenté de 48 -correspondant à 24 cartes-mots supplémentaires -pour atteindre 144 mots.

L’élaboration des cartes

Dans les premiers temps de l’expérimentation, le jeu était constitué de mots latins et de leur traduction. Or, plutôt que de s’attacher aux termes latins, les élèves se servaient de la traduction française sous leurs yeux.

Au regard de ce constat, le jeu a évolué et se compose désormais de cartes-mots interchangeables : le terme latin est au centre de la carte et, sous celui-ci, un indice pour faciliter sa compréhension est donné. Par exemple, sous le terme "pugna, ae, f." est donné son dérivé français "pugnace", ou bien sous le terme "ξένος transcr. xénos" comme dans l’image ci-dessus, est donné le composé "xénophobie". Dès lors, les élèves sont rendus sensibles aux étymons et sont engagés dans une réflexion sur le vocabulaire français, en particulier sa formation. A ces cartes-mots, s’est ajouté un livret reprenant l’ensemble des termes rencontrés avec leurs traductions et leurs dérivés, livret que les joueurs sont libres de consulter, ce qui permet une certaine autonomie des groupes, plutôt que d’avoir à solliciter le professeur.

La mise en place du jeu

  • On dispose vingt-cinq cartes-mots sur la table de façon à former une grille de 5 par 5.
  • Deux équipes sont constituées de manière équitable. Une équipe sera celle de la Pythie, l’autre sera celle de Calchas.
  • Dans chaque équipe, un joueur sera désigné pour faire deviner des mots à ses coéquipiers : il sera soit Pythie soit Calchas. Tous les deux se placeront à côté et feront face à leur coéquipier. Ils prennent les cartes Pythie et Calchas qui leur reviennent. Les autres cartes, la carte noire et les cartes neutres, sont placées à proximité d’eux.
  • Une carte clef est piochée au hasard par les joueurs faisant deviner et est cachée aux autres joueurs. Cette carte figure la grille de 5 par 5 et indique aux joueurs les mots à faire deviner, les mots de l’autre équipe, la carte noire qu’il faut éviter absolument sans quoi la partie est remportée par l’équipe adverse, les cartes neutres qui ne bénéficient à aucune équipe en particulier.
  • La carte clef désigne, grâce à la couleur autour de la grille, quelle équipe commence. L’équipe concernée aura un mot supplémentaire à faire deviner et commence.

Le déroulement

Avant le début de la partie, le professeur traduit les différents termes formant le plateau de jeu. C’est un moment privilégié pour la réactivation du vocabulaire mais aussi pour la sensibilisation des élèves à la continuité - ou rupture - linguistique grâce à l’observation de l’étymon et du français. C’est aussi un moment qui peut permettre, à la faveur des cartes-mots composant le plateau, de questionner d’emblée les rapports qu’entretiennent des termes, des mots concepts entre eux.

  • L’objectif de Pythie ou de Calchas est de faire deviner tous les mots de sa couleur à son équipe. Pour ce faire, il ne doit donner qu’un seul mot permettant un appariement et donner un chiffre, correspondant au nombre de termes relatif à cet appariement. L’objectif est de faire deviner le maximum de mots en un tour.
  • Grâce à l’indice donné par Pythie ou Calchas, les autres membres de l’équipe décident ensemble des mots qui doivent pouvoir être en relation avec cet indice.
  • A chaque mot donné par les membres de l’équipe, Pythie ou Calchas recouvre le mot selon s’il appartient bien à l’équipe, à l’équipe adverse, d’une carte neutre ou d’une carte noire - dans ce cas, la partie est terminée.
  • Toute erreur entraîne la fin du tour.
  • La partie prend fin dès qu’une équipe a trouvé tous les mots lui appartenant.

4.Mesurer l’acquisition du vocabulaire

De l’évaluation diagnostique à l’évaluation ipsative

Afin de mesurer les progrès dans l’acquisition du vocabulaire, il est proposé aux élèves une évaluation diagnostique leur proposant vingt mots issus du jeu. Les évaluations suivantes, toujours sur 20, sont ipsatives et permettent aux élèves de mesurer leur performance en fonction de leur propre résultat à l’évaluation diagnostique, et non en comparaison avec ceux d’autres apprenants. Cette modalité d’évaluation paraît nécessaire dans la mesure où le niveau au sortir du collège est très hétérogène et que de grands débutants viennent renforcer les effectifs de seconde. Par ailleurs, dans la logique d’un rituel ludique, ces évaluations ne font pas l’objet de notations intégrées au bulletin et le résultat est d’ailleurs désigné sous le terme de "score". Il est intéressant de noter que ce système d’évaluation a suscité l’enthousiasme des élèves qui, alors même qu’ils avaient pu obtenir un score de 3 à l’évaluation diagnostique, ont su mesurer leur progrès en obtenant à l’évaluation ipsative portant sur les mêmes mots le score de 7.

Ces évaluations sont réalisées ponctuellement,

  • soit à l’issue d’une partie : les élèves seront plus performants car ils auront déjà réactivé leur connaissance du lexique
  • soit à distance d’une partie : le professeur, comme les élèves, pourront mesurer la mémorisation du lexique sur la durée

La correction est faite par le professeur, grâce aux réponses données par les élèves, et permet une nouvelle fois la remobilisation du vocabulaire.

Progrès obtenus
A- Score /20 évaluation diagnostique (8/12/23)B- Score /20 évaluation ipsative (12/01/24) après le jeuProgression entre A et BC-Score /20 évaluation ipsative (26/01/24)avant le jeuD-Score /20 évaluation ipsative (26/01/24)après le jeuProgression entre A et CProgression entre C et D-écart entre deux évaluations à 40 minutes d’intervalle
Elève continuant 1 10 15 5 17 20 7 3
Elève continuant 2 12 13 1 16 18 4 2
Elève continuant 3 11 14 3 14 19 3 5
Elève continuant 4 4 11 7 11 15 7 4
Elève continuant 5 9 18 9 18 20 9 2
Elève continuant 6 3 7 4 9 17 6 8
Elève continuant 7 7 11 4 13 15 6 2
Elève continuant 8 9 16 7 17 20 8 3
Elève continuant 9 11 18 7 19 20 8 1
Elève débutant 5 11 6 12 20 7 8
MOYENNE 8,6 13,5 5,3 14,7 18,5 6,2 3,8

Le tableau ci-dessus permet de mesurer les progrès de dix élèves sur douze (un élève était absent lors de l’évaluation diagnostique, un autre lors d’une évaluation ipsative : leurs résultats n’ont pas été intégrés au tableau) qui composent l’effectif de seconde, entre le 8 décembre 2023 et le 26 janvier 2024, sur la base d’une évaluation identique. Cette évaluation porte sur l’échantillon des mots suivants :

  1. pes, pedis, m. :
  2. signum, i, n. :
  3. rex, regis, m. :
  4. bellum, i, n. :
  5. ignis, is, m. :
  6. oculus, i, m. :
  7. avis, is, f. :
  8. ira, ae, f. :
  9. fuga, ae, f. :
  10. periculum, i, n. :
  11. apis, is, f. :
  12. lac, lactis, n. :
  13. caput, capitis, n. :
  14. lacrima, ae, f. :
  15. servus, i, m. :
  16. phÿsis, is, f. :
  17. cura, ae, f. :
  18. ambulo, as, are, avi, atum :
  19. lux, lucis, f. :
  20. scelus, eris, n. :

Analyse des résultats

Avant toute analyse, il faut noter plusieurs choses :

  • d’abord, l’évaluation diagnostique, pour être tout à fait précise et suffisamment signifiante, aurait dû être positionnée au tout début de l’année. En effet, au 8 décembre, les élèves avaient déjà une connaissance du jeu et des mots le composant.
  • ensuite, à partir du 22 décembre, le jeu a été enrichi de 48 mots supplémentaires, rendant moins probable la rencontre avec des mots déjà découverts.
  • de plus, entre le 8 décembre et le 12 janvier, les élèves ont pu être confrontés à cette situation rituelle trois fois. Entre le 12 janvier et le 26 janvier, aucune situation de jeu n’a été mise en place.
  • enfin, certaines évaluations ipsatives ont été réalisées soit au début d’un séance consacrée au jeu soit à la fin.

Progrès mesurés immédiatement après la fréquentation des mots

Les évaluations ipsatives désignées comme B et D ont lieu juste après le jeu : les élèves sont susceptibles d’avoir été confrontés à un certain nombre de mots du lexique et d’avoir travaillé à les mettre en réseau. Les résultats obtenus permettent de mesurer l’acquisition du vocabulaire sur un temps court :

  • entre l’évaluation diagnostique dite A et l’évaluation ipsative dite B :
    • une moyenne de plus de 5 points de progression,
    • une amplitude de 1 à 9,
    • 7 élèves sur 10 progressant de 5 points ou plus.
  • entre les évaluations du 26 janvier : l’évaluation ipsative dite C avant le jeu et l’évaluation ipsative dite D après le jeu :
    • une moyenne de 3,8 points de progression,
    • une amplitude de 1 à 8
    • 6 élèves sur 10 atteignent le score de 20/20.

Mémorisation durable

Pour mesurer l’acquisition du lexique sur le temps long, l’évaluation ipsative dite C - à distance de deux semaines par rapport à la dernière situation de jeu - a été soumise aux élèves :

  • entre l’évaluation diagnostique dite A et l’évaluation ipsative dite C :
    • une moyenne de plus de 6 points de progression,
    • une amplitude de 3 à 9,
    • 6 élèves sur 10 atteignant le score de 16 ou plus.
    • 1 seul élève avec un score en-dessous de 10.

Alors que la moyenne à l’évaluation diagnostique dite A du 8 décembre est de 8,6 mots reconnus sur 20, celle du 26 janvier porte le nombre de mots reconnus à 14,7. En moyenne, les apprenants ont reconnu, par rapport à l’évaluation diagnostique, plus de six mots de plus et, entre le 12 et le 26 janvier, ont été en capacité soit de reconnaître les mêmes mots, soit d’en reconnaître de nouveaux, entre deux et trois pour les plus faibles.
Ainsi, l’évaluation ipsative dite C du 26 janvier qui s’effectue avant le jeu permet de constater que, sur le temps long, des mots ont été acquis de manière durable.

5. Limites et perspectives

  • Il est évident que cette expérimentation doit se poursuivre sur un temps long pour produire des résultats signifiants. La classe de seconde qui fait l’objet la première de cette situation rituelle continuera donc à être évaluée. Les résultats obtenus au terme des trois années d’apprentissage en lycée permettront d’être confrontés à ces premiers résultats enregistrés.
  • A l’issue des corrections, de nombreux élèves ont tenu à reprendre le vocabulaire évalué pour s’assurer de leur compréhension. Cette motivation autonome est encourageante, toutefois, il faut pouvoir nuancer : on le sait, le public latiniste, est un public acquis car il a fait le choix de suivre l’option ; par ailleurs, cette classe est particulièrement curieuse. Il serait donc intéressant de comparer les résultats obtenus en classe de latin avec ceux d’une classe de langue, par exemple.
  • Les adaptations sont multiples. En veillant toujours à ne pas complexifier -ou inversement simplifier- les associations d’idées, l’on peut imaginer que le professeur choisisse ou privilégie, par exemple :
    • un champ lexical correspondant à son objet d’étude.
    • un thème pour faire écho au travail mené avec les élèves.
      • Si l’on imagine un travail sur la mythologie, différentes figures mythologiques avec des termes relatifs à leurs attributs et aux éléments correspondant aux récits qui sont faits de leurs exploits ou de leurs aventures, pourraient être convoquées.
      • Dans l’objectif de développer ses connaissances culturelles, l’on pourrait proposer des termes évoquant des cités, des personnages historiques, etc.
  • Canopé a réalisé une fiche sur le jeu Code Names qu’il peut être utile de consulter : https://cdn.reseau-canope.fr/archiv...